LE JUIF
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M. Jean David, disait-il, a une grande situation politique, qui lui imposait d’être d’autant plus circonspect. Quand on a l’honneur de représenter un collège électoral, on est revêtu d’une dignité qui ne vous appartient pas à Trous seul ; on n’a pas le droit de la compromettre en de semblables promiscuités et d’être tour à tour le collègue d’un Philippart. ou d’un Giros.
Quelque amertume que j’éprouve à m’exprimer ainsi, je suis obligé de constater que M. Jean David et M. Brelay ont trop longtemps méconnu ces devoirs. M. Jean David était au Comptoir industriel, aux Forges de Champagne, et président du conseil d’administration des Messageries fluviales
Au Comptoir, il a dirigé la Presse; il est d’ailleurs un des membres du conseil qui ont reconnu à l’audience qu’on avait payé la Presse un prix de fantaisie. Il a vu finir la Banque Européenne et créer le Comptoir, il a suivi jusqu’au bout sa fortune; il a encouru une lourde responsabilité, que vous apprécierez.
Ces passages d’une lettre que je reçois la lui feront comprendre ; elle émane d’un actionnaire fort humble : « Si un pauvre diable, comme moi et beaucoup de mes camarades, n’avait pas vu sur les prospectus d’émission, les noms connus des députés de son propre arrondissement, M. Jean David, et surtout M. Brelay, aurait-il souscrit? Assurément non. Giros et Adam que vous poursuivez comme escroquerie, cela est bien ! Mais n’oubliez pas, je vous prie, ceux qui prêtent leurs noms pour attirer le pauvre gogo! Jean David et Brelay, voilà les coupables! Ils m’ont enlevé les 5,000 fr. d’économies que j’avais. »
A quoi cela sert-il? Vous croyez que David va courber la tête sous cette flétrissure méritée? Allons donc! il ricane comme Raynal ricanera plus tard quand on lui parlera des morts du Tonkin, il semble dire : « Ma religion m’ordonne ce que vous condamnez; je n’ai que faire de vos appréciations. » 11 est sûr,d’ailleurs, de l’impunité; et, convaincu de faits punissables
depuis peu et qui était le chef du parti républicain dans le Gers , un portrait digne du tan- tastique crayon de Callot.
« C’est un grand, maigre, efflanqué, à tête de bossu, à figure grimaçante, ressemblant à ces Méphistophélès en bronze vert oxydé qui servent de chandeliers fantastiques.
« Au repos, on dirait un pendu séché sur le gibet.
« Quand il marche voûté, disloqué, on croit percevoir des bruits étranges, des bruissements parcheminés de la peau que fout entendre les vieux manuscrits, et il semble que son tibia fasse castagnette sur son péroné.
« On a peur qu’il ne se casse comme un squelette mal numéroté et mal assemblé par des fils de fer trop lâches.
« Au moral, c’est le fruit d’un vol électoral.
« Il dirigea trois fois l’invalidation de son concurrent, mon excellent ami Peyrusse, et par un tour de passe-passe qu’il déclara lui-même inexplicable et inexpliqué, il fit changer dans une nuit, étant maire de la ville d’Auch , les feuilles d’émargement, les sacs de bulletins et se déclara élu trois jours après le scrutin qui avait proclamé Peyrusse.
« D’ailleurs, c’est l'habitude à Auch . Au grand jour, on fait voter les morts, les absents les indignes, et on complète l’œuvre en falsifiant les votes des électeurs conservateurs.
« Quant à surveiller le scrutin, ne l’essayez pas, ils sont trois cents voyous qui font une barrière infranchissable entre l’urne et vous, et qui servent de paravent à la fraude électorale, hautement avouée et connue là-bas de tout le monde. »