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LA FRANCE JUIVE
ment de Chrétiens qu’ils avaient reçu, au mois d’août 1550, des lettres patentes qui furent vérifiées à la cour du Parlement et à la Chambre des comptes de Paris, le 22 septembre de la môme année et enregistrées seulement en 1574. Le Mémoire des marchands parisiens , qui s’opposèrent en 1767 à l’entrée des Juifs dans les corps de métiers, insiste bien sur cette circonstance.
Il est impossible, dit ce Mémoire, de voir un projet combiné avec plus de finesse et de ruse que celui de l’établissement des Juifs à Bordeaux . Ils se présentèrent d’abord sous une autre qualité que la leur; celle de nouveaux chrétiens était bien imaginée pour surprendre la religion du roi très chrétien. Henri II leur accorda des lettres patentes. On croirait peut-être qu’ils se sont empressés de les faire enregistrer; rien de cela ; vingt-quatre années se passèrent, non pas inutilement pour eux, mais à choisir le lieu le plus propre à leurs vues. Bordeaux est choisi. On croirait peut-être encore qu’ils ont présenté au Parlement de cette ville leurs lettres patentes à enregistrer; leur marche n’est pas si droite; moins connus à Paris qu’à Bordeaux , ils s’adressent à la première de ces deux cours et y font enregistrer leurs lettres patentes en 1574.
Quoi qu’il en soit, les Portugais protestaient avec énergie toutes les fois qu’on les traitait de Juifs. Inquiétés un moment, en 1614, ils firent remontrer au roi a qu’ils habitaient de longue main en la ville de Bordeaux et que la jalousie des biens qu’ils avaient les faisaient regarder comme Juifs, ce qu’ils n’étaient pas, a ins très bons chrétiens et catholiques. »
Ils se conformaient scrupuleusement à toutes les pratiques extérieures de la religion catholique; leurs naissances, leurs mariages, leurs décès étaient inscrits sur les registres de l’Église; leurs contrats étaient précédés des mots : au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit 1 .
Après avoir vécu près de cent cinquante ans ainsi, les Juifs étaient restés aussi fidèles à leurs croyances que le jour de leur arrivée. Dès que l’occasion fut favorable, en 1686, suivant Benjamin Francia, ils retournèrent ouvertement au Judaïsme, ils cessèrent de faire présenter leurs enfants au baptême et de faire bénir leur mariage par des prêtres catholiques.
Des Juifs même dont les familles, depuis deux cents ans, pratiquaient officiellement le catholicisme en Espagne , passèrent la frontière et vinrent se faire circoncire et remarier selon le rite israélite, à Bordeaux , dès que des rabbins y furent installés.
, La persistance, la vitalité opiniâtre de ce Judaïsme que rien n’entame, sur lequel le temps glisse et qui se maintient de père en fils dans l’intimité