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Le syndic de ces Portugais était un homme auquel la science avait donné une situation à part, Jacob Rodrigues Pereire , l’inventeur d’une méthode pour faire parler les sourds-muets. Louis XV , frappé des expériences auxquelles il avait assisté, avait accordé en 1750 une pension à Rodrigues Pereire ; en 1753, l’Académie des Sciences lui avait décerné un accessit pour un Mémoire sur cette question : Quels sont les moyens de suppléer à l'action du vent sur les grands vaisseaux; en 1765 enfin, il avait été nommé interprète du roi pour les langues orientales.
La considération personnelle du syndic s’ajoutait donc à la prévention favorable qu’on avait pour les Juifs portugais.
Le gouvernement cependant, qui connaissait, ou plutôt qui croyait connaître le Juif, tenait la main à ce que derrière ces individualités tolérables l’envahissement ne se produisît pas.
Une lettre de M. Lenoir adressée à Pereire et que la communauté lit imprimer, car, en définitive, elle était pour elle une garantie de certains droits subordonnés à une certaine conduite, témoigne de la sollicitude toujours un peu inquiète avec laquelle la vieille France veillait sur Israël * :
Tous les Juifs, en général, qui viennent à Paris , monsieur, écrit M. Lenoir, n’y peuvent séjourner qu’au moyen de passe-ports limités qui leur sont accordés; car ils sont assujettis à une police toute particulière. Les Juifs espagnols et portugais , connus sous le nom de nouveaux chrétiens ou marchands portugais , ont seuls été dispensés jusqu’à présent de cette règle; mais j’ai pensé que, s’ils n’étaient eux-mêmes assujettis à un règlement particulier, il résulterait de leurs privilèges des inconvénients, notamment en ce que plusieurs Juifs étrangers pourraient prendre faussement la qualité de Juifs portugais et s’introduire dans Paris pour y troubler le bon ordre; ce qui leur serait d’autant plus facile, qu'au moyen de cette fausse qualité, ils ne seraient pas observés comme ils doivent naturellement l’être.
Pour prévenir cet abus, le roi a décidé que tous les Juifs espagnols et portugais , de quelque lieu qu’ils viennent, soient tenus, lorsqu’ils voudront séjourner à Paris , de justifier des certificats du syndic en charge et de six autres notables de leur communauté diîment légalisés qui contiendront leur signalement et attesteront qu’ils sont Juifs portugais.
En présentant leurs certificats et autres pièces d’identité à viser, ils doivent déclarer les causes de leur séjour à Paris , leur demeure et annoncer leur départ trois jours à l’avance.
1 . Copie d'une lettre dont Voriginal et l’enveloppe qui la contenait ont été déposés à M. Giraudeau, notaire à Paris , le 18 novembre 1777 , écrite le 15 du même mois, par M. Lenoir, conseiller d’État, lieutenant général de police de la ville, prévôté et vicomté de Paris , au sieur Pereire, pensionnaire durai, secrétaire interprète de Sa Majesté, de la société royale de Londres, agent de la nation juive portugaise de Paris , portant règlement pour les Juifs portugais.