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LA FRANCE JUIVE
combats qui se livrent dans ce cœur. Dès que l’occasion se présente, le comte de Chambord s’ingénie à chercher un prétexte, il essaie de gagner du temps, il se pelotonne dans son drapeau', comme nous nous pelotonnons dans nos draps quand on vient nous chercher à l’aube, l’hiver, pour une corvée ennuyeuse. Dès qu’il a reculé, il se raisonne, il se ramène lui- même.
A ce manque de déterminisme, il faut, pour demeurer dans l’analyse vivante, joindre l’intervention toute naturelle de la comtesse de Chambord. Laissez de côté toutes les phrases ; restez dans la simple humanité, et figurez-vous ce que devait éprouver cette femme dévouée lorsqu’elle voyait son mari, heureux près d’elle, faisant la charité, chassant, mangeant bien et qu’elle se disait : « Demain, tout ce bonheur sera remplacé par des machines infernales, des coups de pistolet, des émeutes. »
— Je suis revenue une fois, disait souvent la duchesse d’Angoulême , mais je ne consentirai pas à revenir une seconde fois.
La comtesse de Chambord avait été élevée avec la duchesse d’Angou lême qui lui racontait sans cesse les scènes du Temple, les infamies républicaines presque inconnues, car c’est à peine si l’histoire a osé les relever, le long martyre du petit Dauphin que la pauvre princesse, blottie derrière la porte, entendait chaque matin hurler de douleur sous les coups de Simon. « Madame, me disait quelqu’un qui a vécu longtemps à Frosdhorlf, avait gardé de ces récits une impression ineffaçable. Le peuple de Paris lui inspirait une véritable terreur. »
Les défauts du comte de Chambord s’aggravèrent encore grâce aux habitudes contemporaines. Autrefois un prétendant dans cette situation eût trouvé quelque compagnon comme en avait eu Henri IV , n’ayant pas
I. Il n’est point douteux maintenant, pour tout homme de bonne foi, que la question du drapeau n’ait été qu'un prétexte. A l’Assemblée de Bordeaux, quelques députés orléanistes s’adressèrent à M. de la Ferté, qu’ils savaient muni des pleins pouvoirs du comte de Chambord, et lui demandèrent si la question du drapeau serait un obstacle. M. de la Ferté répondit qu’il était autorisé à affirmer que cette question ne ferait pas de dilliculté; il ajouta que, dans son opinion, il lui semblait impossible de ne pas maintenir le drapeau tricolore que les malheurs de la dernière guerre venaient de rendre sacré.
Le 29 ou le 30 juin 1871, M. Bocher rencontra dans la salle à manger des Réservoirs trois députés légitimistes : le duc de La Rochefoucauld-Bisaccia, le comte Armand de Maillé et le vicomte de Gontaut-Biron ; il leur demanda quel était le sens de la lettre que le comte de Paris venait de recevoir : « Il me tarde de vous serrer sur mon cœur, mais la délicatesse m’oblige à vous prier d’attendre que je me sois expliqué avec le pays sur les questions réservées. » Ces messieurs déclarèrent qu’ils n’y comprenaient rien et qu’il n’y avait pas « de questions réservées ». Quoiqu'il fût près de minuit à la lin de l’entretien, on courut chez M. delà Ferté, on le fil lever, on lui expliqua ce dont il s’agissait; il se troubla, pâlit et dit : «Je suis désavoué, ce doit être la question du drapeau! »