LA FRANCE JUIVE
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Des deux chefs du Seize-Mai, le plus disposé à sacrifier sa vie eût été certainement ie duc de Broglie, mais il était gêné par les habitudes d’un tempérament tout littéraire, par cette perpétuelle hésitation d’esprit qui rend les hommes d’une certaine école politique impropres à toute détermination virile. Fourtou, pur gascon, vrai capitan de comédie, était, avec plus de rouerie, le modèle du Sulpice Vaiulrey de Monsieur le Ministre, le provincial corrompu par la vie de Paris ; il ne profita de son passage au ministère que pour « s’en fourrer jusque-là. » Le duc de Broglie était timoré comme un parlementaire, l'autre poltron comme la lune; le premier avait peur d’endommager sa doctrine, le second tremblait de compromettre sa peau 1 .
Toutes les fois qu’il fallut agir ou qu’on leur proposa d’agir pour eux, les hommes du Seize-Mai reculèrent. M. Oscar de Vallée me racontait, à ce sujet, un détail qui a son intérêt. On avait annoncé, dans le Français , sa nomination comme procureur général à la cour de Paris . « Je suis prêt à accepter, dit-il à M. Brunet, mais je vous préviens que mon premier acte de magistrat sera de faire arrêter M. Gambetta et son fameux comité 2 . ■>
Le gouvernement ne pensait guère à cela. Ces prétendus catholiques, que nous avons vus si durs pour les pauvres diables île la Commune, tremblaient devant cet Italien factieux.
Le vrai coupable, cependant, ce fut le maréchal Mac-Mahon . Il avait lui-même pris l’initiative du Seize-Mai que rien ne rendait indispensable à ce moment; il avait répété sur tous les tons qu’il ne reculerait pas; il ne voulut jamais consentir à confier le ministère de la Guerre
1. Ce ministre si mou qui, avec la puissante machine île la centralisation à sa disposition, croyait aller jusqu'aux dernières limites de l’audace, en interdisant la vente du Petit Jour- un/ dans les gares, se retrouvait à la tribune; il répondait très fièrement aux menaces de la gauche victorieuse : « Si j’avais fait tout mon devoir, vous ne seriez pas ici. » Ce n'est pas un des moindres inconvénients du système parlementaire que de donner la direction des all'aires à des hommes qui n'ont qu'un courage tout verbal, qui s'imaginent, selon le mot de Guizot , a avoir agi quand ils ont parlé. » A part quelques exceptions, l'assurance à la tribune et l’énergie dans faction s’exclueut entre elles. Bonaparte faillit se trouver mal quand, en entrant dans la salle de l’Orangerie, il aperçut trois cents fantoches couverts d'oripeaux grotesques en train de brailler. Morny, lui-même, qui fut si admirable au 2 Décembre, était obligé d’écrire d'avance sur un morceau de papier les moindres paroles qu'il prononçait à la Chambre.
2. &1. Raoul Duval, dont on connaît l’énergie, aurait consenti au 21 Mai à se charger du portefeuille de l’Intérieur. 11 ne demandait qu'à être autorisé à arrêter six cents individus qui, depuis 1810, avaient commis des délits de droit commun, et qui se promenaient tranquillement, comme Challemel-bacour, qui n'a jamais payé les cent nulle francs auxquels il avait été condamné pour la part prise par lui dans le pillage de l'établissement de Calluire. bos conservateurs, comme toujours, firent passer leurs amitiés de salon et d’académie avant l’intérêt public, et au lieu de prendre un homme d’action comme Raoul Duval. ils prirent ce malencontreux Boulé qui se couvrit d'un tel ridicule qu'il sî tua de désespoir.