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LA FRANCE JUIVE
Roustan, après être retourné à Tunis une dernière fois pour y assister à un banquet organisé par l’Alliance Israélite universelle , a été envoyé comme ministre à Washington , où il empoche, avec un traitement double, les injures que les Yankees ne se font pas faute de lui prodiguer chaque fois qu’ils le rencontrent dans la rue.
Vous croyez qu’après le retentissement de ce procès, les scandales vont s’arrêter, du moins pour quelque temps ? Vous ne connaissez pas les républicains. Gambon continue Roustan. Son prédécesseur recevait des pots-devin, il semble avoir de la préférence pour l’eau ; il réalise un bénéfice énorme avec la compagnie des Eaux de Tunis et fait arrêter les conseillers arabes qui veulent s’opposer à ces concussions.
L’histoire des biens de Mustapha est un chapitre des annales financières d’une gaieté inénarrable. Une fois débarqué ici, ce pauvre Mustapha, si folâtre au Bardo, tomba dans le bourbier parisien comme un vieux cheval dans un marais plein de sangsues. A bout de ressources, il fut heureux de trouver la Banque Transatlantique qui lui offrit un million, et il bénit Allah de lui avoir fait rencontrer des gens si obligeants. Après l’avoir laissé tranquille quelques mois, on finit cependant par lui demander de rembourser.
— Trouvez-nous, au moins, lui dit-on, quelqu’un qui garantisse votre dette.
Le malheureux se désolait, lorsque Volterra et Alfred Naquet vinrent lui parler d’une société philanthropique qui se proposait de mettre de suite en actions, non pas les terrains qu’elle possédait en Tunisie , mais ceux qu’elle pourrait posséder un jour. Mustapha confia ses peines à ces deux bons Juifs qui lui dirent : « Nous sommes ceux que vous cherchez et vous êtes l’homme que nous cherchons. Cédez-nous vos terrains, et nous répondrons de votre million. »
Décidément, pensa Mustapha, Paris est une ville bien extraordinaire ! Tout s’y trouve. Il accepta avec joie l’offre qui lui fut faite de garantir sa créance, ce qui était d’autant plus facile à ses nouveaux amis, que ceux qui le menaçaient de le poursuivre et ceux qui lui proposaient de le sauver étaient les mêmes, appartenaient à un seul et même groupe financier.
Mustapha, néanmoins, n’était pas au bout de ses épreuves. Il devait en voir de toutes les couleurs avec ses Juifs et passer avec eux par toutes les vicissitudes. Tant qu’on eut besoin de lui, il traversait les antichambres au milieu d'huissiers inclinés ; il s’asseyait à la place d’honneur à la table du conseil, et on l’appelait gros comme le bras: Son Excellence le général Mustapha ben Ismaïl. Un peu plus tard, on l’interpellait d’un laconique : « Qu’en