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LA FRANCE JUIVE
blonde de ce rire à la Barbemuche, particulier aux Allemands , et qui se voile parfois d’une sorte de philosophie attristée.
Supposez que Déroulède , au lieu d’ètre un poseur et un fanfaron de patriotisme, eût eu vraiment au cœur les sentiments d’un patriote, l’amour profond et sincère de son pays, quelle belle occasion s’offrait à lui d’intervenir, de rappeler à la pudeur ces banqueteurs éhontés! Imaginez un orateur à la parole ardente et chaude allant trouver des ouvriers, des bourgeois, d’anciens soldats, et leur disant : « Soufirirez-vous qu’on commémore par des ripailles un semblable anniversaire ; qu’on choisisse, pour s’enivrer, le jour où la France a été si douloureusement frappée? »
Ces hommes auraient compris ; on se serait rué sur les noceurs, on aurait renversé les nappes, Floquet aurait achevé sa digestion dans l’égout, et, secoué par la tourmente, l’adjoint Winckam, l’expulseur des sœurs de Charité, un nom bien français encore celui-là, par parenthèse, aurait cassé tous ses bandages.
Déroulède ne trouva pas révoltant le spectacle de cette fête de Sedan , et l’on n’entendit pas, dans cette circonstance,
Le beau luth éploré qui vibre sous ses doigts.
Quoi qu’il en soit, la France l’avait échappé belle. La Juiverie, d’ailleurs, avait opéré avec moins d’ensemble que de coutume; ce fut peut-être ce qui sauva nos paysans. Tandis que le Mayer de la Société de gymnastique allemande insultait ou n’insultait pas, on n’a jamais su au juste la vérité; que le Mayer de la Ligue des Patriotes s’indignait; qu’un troisième Meyer, le Meyer du Gaulois, parlait vaguement de l’honneur du drapeau français et déclarait qu’il n’y laisserait pas toucher, un quatrième Mayer, celui de la Lanterne, entrait en scène.
Était-il venu trop tard? Gambetta avait-il distribué toutes les commandes de semelles en papier et de couvertures en pelures d’oignon destinées à nos malheureux soldats pour la prochaine guerre? Je l’ignore; toujours est-il qu’il fit ressortir l’étonnant ridicule dont s’était couvert Déroulède .
Ce dernier Mayer, précisément, n’eut pas de chance, pour une fois qu’il avait été honnête. Le poète l’alla souffleter, et, comme de tous les abbés du monde, l’abbé que les Juifs aiment le moins est encore l’abbé de l’Épée, on dut porter le soufflet devant les tribunaux qui condamnèrent Déroulède à vingt-cinq francs d’amende, — ce qui parut bien léger à ceux qui avaient entendu le soufflet, et parut, au contraire, exorbitant à ceux qui connaissaient le personnage qui l’avait reçu.