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LA FRANCE JUIVE
Tous les financiers accourent chez ce Gaillard, qui trouvait l’instant opportun pour donner un hal masqué dans l’hôtel qu’il avait eu la pensée bizarre de faire construire sur le plan même du château de Chambord.
Les Juifs ouvrent leurs salons à deux battants. Grand bal chez la baronne de Hirsch, qui, pour célébrer sans doute la victoire des Célestes, a placé une guirlande de lauriers dans ses cheveux. La toilette est de satin vert mauve ouverte sur une jupe de faille maïs toute pampillée d’or.
« La duchesse de Bisaccia est en toilette de brocart ramagé d’or et d’argent.- Duchesse de Maillé en lampas Renaissance.
« M me Henri Schneider : ravissante toilette Empire en crêpe blanc à longue ceinture de rubans coquelicot.
« M m6 Salomon Goldschmidt : robe de lampas lilas, le devant tout brodé de perles fines, avec grands revers et corsage de velours violine. »
Tous les Rothschild sont sur le pont. Le bal de la baronne Adolphe est plus select , mais celui de la baronne Salomon est plus brillant. Toute l’aristocratie défile dans l’hôtel de la rue Berryer, et l’énumération des grands seigneurs et des grandes dames, qui s’amusent pendant qu’on meurt là-bas, tient deux colonnes dans les journaux bien informés.
Lang-Son, en effet, avait été une aubaine inattendue pour les Juifs, et la Bourse avait retrouvé l’éclat des anciens jours.
Un écrivain, dont le talent inégal a parfois des lueurs superbes, M. Octave Mirbeau, a tracé un saisissant tableau de ce monde qui ne songe devant une pareille catastrophe qu’au plaisir et à l’argent :
C’était la Bourse qu’il fallait voir, la Bourse au spectacle de laquelle le cœur se soulevait de dégoût. Chaque fois que la France est en péril, chaque fois que le sang ruisselle de ses flancs, les larmes de ses yeux, il y a des milliers d’hommes de proie qui s’abattent sur elle, qui se précipitent pour recueillir ce sang et ces larmes, et, hideux alchimistes, les transformer en or. Du fond de quels antres, de quelles banques, de quels bagnes, de quels ghettos déchaînés ces misérables étaient-ils accourus?
La bouche tordue, les bras agités, les yeux allumés de rapines, ils couraient, s’écrasaient, se marchaient les uns sur les autres, et une immense clameur montait, plus barbare que les cris de victoire des Chinois. Les marches du grand bâtiment étaient toutes noires, de cette foule grouillantejet grimaçante, qui semblait porter, sur ses épaules, le monstre énorme et sans yeux, d’où l’on entendait sortir, comme des bruits d’écroulement — l'écroulement de la fortune de la France. Et l’on se demandait si la France n’était point là, couchée dans ce tombeau, belle, pâle et morte, et si toutes ces mains avides, pareilles à des tentacules de pieuvres, ne s’approchaient pas d’elle, ne se posaient pas sur elle, et, lentement, l’enlaçant de leur mille ventouses, ne pompaient pas le sang tout chaud de ses veines ouvertes.