Grâce à ces procédés, le Juif jouit en Algérie d’un mépris que l’on comprend. Il peut entrer à toute heure sous la tente et dans la maison d’un Arabe, les femmes ne se couvriront même pas de leurs voiles ; pour elles le Juif n’est pas un homme.
Un Arabe se croirait déshonoré s’il tuait un Juif.
Dans l’affaire de la caravane de Guefsa, en 1871, un des accusés, Ben Ganah, ordinairement impassible, eut comme une explosion de fureur quand on l’accusa du meurtre d’un Juif: « Moi, disait-il, tuer des Juifs ! J’ai tué des Hammama, je vengeais mon père; mais on ne tue pas un Juif, on ne tue pas une femme. Si j’avais tué un Juif, serais-je venu de moi- même m’offrir à votre justice ? Je n’oserais pas me montrer dans ma tribu. »
Jamais, dit à ce sujet M. du Bouzet ’, jamais un cavalier des Nemen- cha n’admettra que le fils du grand caïd Ganah ait pu tuer un Juif, le reconnaissant pour tel. Le dernier des bergers de la tribu aurait honte d’un pareil meurtre. Un brigand assassinera un Israélite isolé pour supprimer l’unique témoin de son crime. Mais, dans l’attaque d’une caravane, les Juifs n’ont qu’à se faire reconnaître pour que leur vie soit épargnée.
Nous ne saurions mieux faire, d’ailleurs, pour montrer quels étaient les intéressants protégés de Grémieux, que de reproduire le portrait plein de couleur et de mouvement, que M. de Maupassant , dans Au soleil, a tracé du Juif arabe:
A Bou-Saada , on les voit accroupis en des tanières immondes, bouffis de graisse, sordides etguettant l’Arabe comme l’araignée guette la mouche. Ils l’appellent, essayent de lui prêter cent sous contre un billet qu’il signera. L’homme sent le danger, hésite, ne veut pas ; mais le désir de boire et d’autres désirs encore le tiraillent : cent sous représentent pour lui tant de jouissances ! Il cède enfin, prend la pièce d’argent et signe le papier graisseux. Au bout de six mois, il devra dix francs, vingt francs au bout d’un an, cent francs au bout de trois ans. Alors le Juif fait vendre sa terre, s’il en a une, ou, sinon, son chameau, son cheval, son bourricot, tout ce qu’il possède enfin. '
Les chefs, caïds, aghas, ou bach’agas, tombent également dans les griffes de ces rapaces qui sont le fléau, la plaie saignante de notre colonie, legrand obstacle à la civilisation et au bien-être de l’Arabe.
Quand une colonne française va razzier quelque tribu rebelle, une nuée de Juifs la suit, achetant à vil prix le butin, revendu aux Arabes dès que
1. Les Israélites indigènes de l’Algérie , pétition contre le décret du 24 octobre 1870, par M. Charles du Bouzet, ancien préfet d’Oran , ancien commissaire extraordinaire en Algérie .