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LA FRANCE JUIVE
L’ Alliance a dans toutl’Orient, en Syrie, au Maroc, en Tunisie, enMéso- potamie, à Jérusalem, trente-six écoles qui reçoivent plus de sept mille élèves, dont cinq mille quatre cents garçons et sept cents filles.
C’est dans ces séances’de l’Alliance qu’il faut chercher le vrai Crémieux ; il se montre là familier, bonhomme, avec des airs de patriarche en gaîté ; on aperçoit des tableaux de genre tout faits dans le spectacle de ce vieillard qui s’entretient avec les siens. En 1878, on parlait des Israélites de Russie: « Qu’on les laisse commencer », dit Crémieux, puis baissant un peu la voix, « je suis tranquille, ils sauront avancer, se faire jour. » Rire général. — A un geste de la main, à un clignement d'œil, tous ces rusés compères, hommes politiques, banquiers, marchands de lorgnettes, s’étaient compris; ils savaient que, dès que leurs coreligionnaires auraient conquis une parcelle de droits, ils mettraient la Russie et les Russes sous leurs pieds comme eux-mêmes y avaient mis la France et les Français.
Crémieux, dans son testament, tint à laisser publiquement une preuve de sa sollicitude à Y Alliance Israélite :
Je lègue, écrivait-il, une somme de 10,000 francs à Y Alliance israèlite universelle. Gomme Y Alliance n’est pas une société légalement autorisée, j’impose à mes enfants l’obligation de compter, dans les trois mois de mon décès, au président de Y Alliance israèlite universelle, cette somme de dix mille francs, dont l’emploi sera fait selon la décision que prendra le Comité central 1 .
Les catholiques n’eurent garde de blâmer cette disposition. Quel droit plus sacré que celui de disposer d’une partie de son patrimoine en faveur d’une cause qu’on a servie toute sa vie, de se survivre en quelque sorte par sa fidélité à une idée qui vous a été chère, de s'associer par delà le tombeau à des labeurs et à des préoccupations qui ont été les vôtres?
Supposez qùeje lègue dix mille francs à l’ordre des Bénédictins, chez lesquels j’ai passé un mois charmant dans ma jeunesse, dont les travaux littéraires et historiques se rapprochent des miens. Yoyez-vous d’ici Lockroy ou Camille Dreyfus à la tribune, « Captation ! messieurs, biens de main morte... Cet homme sait que cette congrégation n’est pas autorisée, et il lui
1. Les libéralités de ce genre sont fréquentes. Dans son testament, M. L.-ll. Rothschild, le richissime joaillier, mort à Paris en 1884, stipule que, si sa fille Sarah Ilalfon meurt sans enfants, un tiers de sa fortune reviendra à VAlliance israèlite universelle.