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LA FRANCE JUIVE
Individuellement, je le répète, le véritable noble est généralement très bon. il fait du bien; mais au lieu de s’en vanter grossièrement, comme le Juif qui bat la grosse caisse dès qu’il a donné cent sous, il cache ses bienfaits avec une délicate pudeur. En province, il y a rarement des pauvres autour des châteaux habités par d’anciennes familles. Dans un petit coin du Forez , que j’ai eu l’occasion d’habiter, le baron de Rochetaillée, par exemple, pour ne citer que ce que j’ai vu, ouvre un compte à tous les habitants indigents chez le boulanger et le bouclier; il assure le nécessaire à tous. Il est impossible de mieux remplir les fonctions de ce riche, que Tertullien appelle « le trésorier de Dieu sur la terre ». Les radicaux, pour récompenser cet homme généreux, l’accusent d’enlever le goût du travail à ceux qu’il oblige en les nourrissant, et ils espèrent bien, à la prochaine révolution, le guillotiner pour ce motif.
Ceci, j’en suis convaincu, est absolument indifférent au baron de Rochetaillée. L'ingratitude est parfaitement égale à ces âmes. Le noble, le représentant complet de la race aryenne, affinée et comme spiritualisée, est étranger à tout sentiment de rancune. Le christianisme, joint â une manière de penser naturellement grande, a détruit dans ces cœurs tout ressentiment des injures. Le Juif tient à la disposition de ses ennemis tout ce que, selon le mot de Concourt. « une race, éclaboussée par le sang d’un Dieu , peut avoir de fiel recuit depuis dix-huit cents ans » ; le noble, lui, n’a ni fiel, ni haine.
Quoi de plus superbe que Montmorency écrivant son testament une heure avant d’aller à l’échafaud et léguant à Richelieu le tableau de Carrache représentant saint Sébastien percé de flèches qui est maintenant au Louvre?
Plus tard, quand, dans sa cellule delà Visitation de Moulins, la duchesse revit en songe le mari qu’elle avait si tendrement aimé, malgré ses infidélités, elle apprit de lui qu’il était au nombre des Elus. — Quelle est surtout celle de vos actions qui vous a fait accorder cette grâce souveraine? lui demanda-t-elle. — La facilité avec laquelle j’ai pardonné. Dieu m’a fait miséricorde parce que je me suis montré miséricordieux envers ceux qui ont souhaité ma mort '.
Dans ce livre si touchant de M. Charles d’Héricault, Histoire de la Révolution racontée aux petits enfants, vous trouverez mille choses de ce genre. Qu’elle est belle cette réponse du pauvre petit Dauphin accablé de mauvais traitements, roué de coups par Simon!
1. .Vlb'r Eliche : Mémoires sur la vie, les malheurs, les vertus de très haute et très illustre princesse Marie-Fêlicie des Ursins , duchesse de Montmorency.