554
LA FRANCE JUIVE
A travers les allées, on distingue deux ou trois vieilles femmes courbées sur le sol qm ramassent l’herbe des sentiers. Quand le voyageur est de distinction, on en mande de supplémentaires du village. « C’est la bonne baronne qui a eu l’idée de ce travail pour venir en aide aux habitants de la contrée ! » Vous versez une larme, comme Jules Favre, et cette terre aride et desséchée paraît reconnaissante de cette marque de sympathie.
Le plus joli, ce sont les serres et les volières. Les serres sont un enchantement, pleines de plantes épanouies en toute saison, d’ananas en grains, en Heurs, en fruits. Dans les volières immenses, sont rassemblés des centaines d’oiseaux rares dont la couleur, variée, à l’infini, semble relléter le ciel particulier de chaque pays.
Perdrix de Chine, faisans dorés au ventre rouge, faisans de Sœmme- ring, faisans de lady Amsherst, hoki, tragopan qui porte un capuchon d’écarlate, lophophore resplendissant au collier de barbe blanche, touca au vilain bec noir qui dévore les faisans comme le Juif dévore les Chrétiens, ilamant d’Egypte penché sur son bassin rempli do poissons, pies bleues de Chine , colombes poignardées des Philippines avec la tache de sang sur la poitrine, — tout cela s’agite dans un frémissement d’ailes, dans une pittoresque confusion de plumages multicolores, dans un concert de cris, tantôt stridents, tantôt plaintifs, et semble comme une vision d’un coin du paradis terrestre.
C’est la gaîté de Ferrières que ces oiseaux, car, au fond, ce château sans passé est lugubre. Cela ne rappelle point les grandes existences seigneuriales d’autrefois: Sully s’en allant gravement îi la promenade, précédé de ses hallebardiers, suivi de ses pages, entouré h droite et à gauche de gentilshommes l’épée nue ; Chambord où Maurice de Saxe était gardé par ses régiments fidèles; la demeure de Wellington tapissée de la base au faîte des drapeaux pris à Waterloo .' La victoire, l’héroïsme, le génie n’ont pas mis là leur sceau rayonnant. « Demandez le cours de la Bourse et de la rente ! » crient les visiteurs en sortant.
Pour toute garde, les Rothschild n’ont là qu’une brigade de gendarmerie, que les républicains complaisants leur ont donnée par honneur, et qui a l’air do veiller sur des inculpés en surveillance. Chaque semaine le chAtoau envoie aux gendarmes deux lapins et un faisan mort.
— Voilà une belle arrestation à faire, disais-je au brigadier.
— Sans doute, mais il faudrait un mandat d’amener. Me rapporterez- vous ?
Qui sait...