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1* A111 s ,h;ik et la société fuancaise
ce qu’ils haïssent le plus, ce sont les hommes qui en font. Ils ne comprennent l’écrivain que sous la forme d’un illettré bien informé, bien mis, intrigant, remuant, s’agitant. M. de la Rochefoucauld, duc de Bisaccia, reçoit Rothschild et Mayer; il n’invite pas d'Hervilly à une soirée où l’on joue une de ses pièces. L’épisode est significatif encore, et la lettre, pleine de brio, écrite à ce sujet par l’auteur de la Belle Saïnara à un de ses amis, vaut la peine d’être reproduite :
Chailly-en-Bière (Seine-et-Marne ).
Je suis très mal fichu dans le coin d’où je t’écris ces lignes. J’ai : hypertrophie du foie, ictère; je suis jaune gomme-gutte, et de plus ma faiblesse est extrême. Je me lève très peu et ne peux marcher. Il y a déjà un mois que cela dure. Je ne voudrais pas crever sans t'avoir raconté comment cette fameuse grande dame dont on a tant parlé, et qui s’appelle la Politesse française, est morte trois fois plutôt que d’entrer chez moi, et cela à propos de cette Saïnara dont les feuilles m’apppelent « l’heureux auteur. >>
Figure-toi que, pour cette fameuse fête japonaise, on est venu me demander des vers d’ouverture. Je les ai faits, il s’agissait des pauvres. On ne m’a même pas accusé réception de ce travail demandé. Et l’on n’a même pas envoyé une invitation à l’auteur pour la tête. C’est raide.
Il faut te dire, bien entendu, que je n’aurais pas été chez les ducs. Mais les ducs et vidâmes me devaient bien une invitation, ne fùt-cè que pour la collection que je fais de ces cartons illustrés.
Du reste, constatation faite de la mort delà Politesse française dans le noble faubourg, j’ai songé que c’était la troisième fois que cela m’arrivait, au nom des pauvres, avec la même Saïnara. Voici l’anecdote :
La première fois, la duchesse de Magenta me lit donner pour les pauvres, à l’Odéon, la primeur de Saïnara. Dame! c’était dur! Après trois ans d'attente, sacrifier ma première! Je le fis néanmoins, pour les pauvres.
La bonne grosse dame, ayant appris que j’étais au Rappel, ne daigna même pas venir voir la pièce qu’elle m’avait demandée. Elle fit mieux, elle menaça d’arriver au milieu. Ce qui était une chute pour moi.
Elle ne vint pas du tout (bon Dieu soit loué!), mais personne ne me remercia. Un!
La deuxième fois, ce fut M me de Metternich qui me fit demander de donner — en abandonnant mes droits — Saïnara à Vienne , sur le théâtre de ia Cour, avec elle comme actrice, au bénéfice des inondés de Szegedin. Pas un mot de remerciement. Deux! !
Avec les La Rochefoucaud, même politesse.
Trois ! ! !
Je crois qu'il ne faut pas que ces notes pour l’histoire d’une race qui s ’en va, soient perdues. Aussi je te les lègue. Il est bon que ces choses soient dites un jour ou l’autre.
A toi.
K. D’HERVILLY.
26 juin 1883.