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LA FRANCE JUIVE
premier secrétaire de l’ambassade de France . Celui-ci vint aussitôt au journaliste et lui demanda pourquoi, puisqu’il se trouvait à Vienne , il ne venait pas, comme l’année précédente, rendre visite à ses amis de l’ambassade.
Le chroniqueur, très ému, répondit que,dans les circonstances actuelles, craignant une réception pénible, il n’avait pas osé.
— Venez donc, répliqua gracieusement M. de Bourgoing, vous ôtes un ami pour nous, et nos sentiments à votre égard ne sont changés en rien.
Le rédacteur du Figaro se rendit alors à l’ambassade, où il fut accueilli à bras ouverts, et où il put désormais venir chaque jour se renseigner sur la marche de la guerre.
Après le spectacle de ce secrétaire d'ambassade allant lui-même chercher un Juif prussien qui ne lui demande rien, pour lui raconter nos affaires, il semblerait qu’il faille tirer l’échelle, gardons-nous en bien. C’est le retour à Paris qui est curieux à voir.
Il est incontestable que les Prussiens avaient un service d’espionnage admirablement organisé, presque aussi bien organisé que celui qui fonctionnait sous Napoléon I™, du temps où il y avait encore une France . Les hommes, qui les avaient ainsi renseignés, devaient avoir été intimement mêlés à la vie française, avoir eu accès partout. Il paraissait donc tout naturel de faire aux vrais Prussiens, aux Prussiens avérés, à ceux qui nous avaient combattus franchement, l’accueil chevaleresque et galant que nous avaient fait les Russes après l’Alma, les Autrichiens après Solférino, et en môme temps de nous défier de ceux qui nous avaient témoigné une amitié équivoque.
Les Français de la décadence firent tout le contraire. Ils furent mal élevés, grognons, pleins d’une mauvaise humeur d’un goût déplorable devant les Allemands qui les avaient vaincus, comme eux-mêmes avaient jadis vaincu l’Europe ; ils se roulèrent aux pieds de ceux qui les avaient trahis.
Le bon Schnerl», en sa qualité de Juif, fut le premier, nous apprend toujours M. Toudouze, à déclarer que Wolff était le modèle des patriotes ; tous suivirent cet exemple. I/entrevue de Goudinet et de Wolff est une scène de mœurs boulevardières qui indique bien le niveau do l’intelligence actuelle. Wolff, ici encore, semble avoir eu plus de délicatesse que les Français ; la première fois qu’il vint dîner chez Brébant, il n’osa pas se montrer. Il était là, dînant solitaire, en cachette, dans son cabinet, lorsqu’on frappa à la porte : « le garçon venait l’informer qu’un passant, qu’il ne connaissait pas, ayant appris que M. Albert Wolff était de retour et dînait là, demandait à le voir.