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LA FRANCE JUIVE
Devant l’indifférence des peuples et des cabinets, M me Adam se replia sur elle-même. Le bas bleu prévalut sur la reine : or le bas bleu chez M mo Adam n’a jamais été qu’en coton. Ce n’est ni Corinne, ni Sapho, ni Lélia, ce n’est pas même Olympe Audouard . Cette Muse, en réalité, est bien départementale ; il y a chez la Turcarette, qu’a peinte Barbey d’Auré- villy, comme un souvenir de l’Hermance Lesguillon, la femme de lettres de 1830, portant des soques et un parapluie pour en frapper les barbares qui demeuraient froids devant sa prose.
Après avoir rêvé de gouverner l’Europe, la directrice d’une Revue, qu’on lit le moins qu’on peut, en est réduite à essayer l’effet de ses manuscrits sur un petit cercle d’invités, faux romanciers, faux poètes, faux savants, que les satisfactions de l’estomac ont préparés aux indulgences de l’esprit; elle a, pour eux, maison de ville pour l’hiver, et maison des champs pour l’été. Blanche de Castille a fondé l’abbaye des Yaux-de-Cernay pour que M m8 Nathaniel de Kothschild pût l’acheter avec notre argent et y vivre commodément. J’ignore quelle autre souveraine a bâti l’abbaye de Gif, où M 100 Adam, en joyeuse boulangère, fait danser les écus de l’Emprunt mexicain. Ce qui est certain, c’est qu’on y est fort bien. On prend les invités à domicile, on les transporte en mail-coach, on les abreuve et on les nourrit; le soir on les ramène après avoir enregistré leurs noms au complet, afin de les faire figurer dans les journaux du lendemain. La chronique dit même qu’au départ on remet, à ceux que Païenne a émus, la pièce ronde pour aller chez Mélissandre.
Quelle sera la lin? J’avoue qu’elle m’inquiète un peu. Il y a comme une marque, non point tragique, mais malheureuse, sur cette femme envers laquelle la Fortune semble avoir épuisé ses sourires, et je n’ai pu,à maintes reprises, me défendre de cette impression pénible. Peut-être verrons-nous M mo Adam, à quelque cinquième étage de la rue Coquenard, faisant encore le grand jeu et proposant à l’Abeille de Lonjumeau quelque roman dont ce journal ne voudra pas...
On comprend devant ces spectacles la mélancolique parole de de Leu- ven :
— C’est bien ennuyeux de mourir, disait-il, mais je m’en console presque, en pensant que je n’entendrai plus parler ni de Sarah llernhardt, ni du grand Français !
Comment se fait-il que M. de Lessepsne comprenne pas qu’il déshonore une vie qui a été belle et laborieuse, somme toute, par ce saltimbanquisme effréné? Pourquoi mêler ses enfants à toutes ces réclames financières,