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LA FRANCE JUIVE
frères exécutant des rétablissements sur la barre fixe, dansant sur la corde, passant à travers les cerceaux. Ces acteurs vêtus de maillots couleur tendre, couverts de paillettes, chargés d’oripeaux,grimaçant, gambadant, marchant sur les mains, s'appellent comte de Nyon , comte de Pully , comte Bernard de Gontaut, comte de Maulle, de Beauregard, de Quélen *. Lecomte Hubert de la Rochefoucauld, vêtu d’une tunique de soie bleue, avec une écharpe à glands d’or, crie : miousic l à l’orchestre, avec l’intonation des clowns.
Il y a un véritable cas pathologique, je le répète, dans ce besoin de se ravaler, de se déshonorer soi-même, mais cela ne choque personne. Les journaux, qui défendent la société, insèrentgravement le programme entre une tirade contre les vices du peuple et l’annonce d’un sermon, insistent sur les numéros, expliquent longuement la généalogie des familles s .
Le plus fort en ce genre est la représentation du cercle delà rue Royale, où le duc de Morny parut habillé en femme et dansa un pas du ballet d 'Excelsior. Ce fut un ravissement. Les journaux discutèrent pendant tout une semaine pour savoir si le duc avait bien fait de couperses moustaches. Le Gaulois fut très affirmatif : « Il a eu raison, dit-il, c’est très crûne ! » Le Figaro , plus réservé, déclara qu’il y avait du pour et du contre.
Pas plus qu’au Théâtre-Français, pas un vieillard représentant du vieil honneur, pas une femme ayant quelque sentiment de dignité au cœur, n’eut l’idée de se lever, de protester, de siffler devant le spectacle de cet homme déguisé en femme et dansant avec des gestes à double entente. Le tout Paris n’eut pas la pudeur d’Athènes qui permettait aux esclaves seuls de danser la danse obscène : le Motlion.
N’est-il pas curieux, dans ce perpétuel recommencement de l’histoire, dans l'incessant frétillement de ce serpent qui se mord la queue, de constater que la décadence se traduit toujours sous des formes identiques, de voir qu’après tant de siècles écoulés, la décomposition sociale, comme la décomposition physique, est absolumentla mêmedansses manifestations? Le duc, attifé en ballerine, et l’iléliogabale à la robe syrienne, aux yeux
1. Figaro, 6 mai 1883.
2. N’oublions pas un joli trait de mœurs. Dans un journal qui lui appartient, le Voltaire 11. Albert Minier avait chargé un des rédacteurs de flétrir ces grands seigneurs qui déshonoraient leurs ancêtres en s’affublant des oripeaux du clown. Quelques mois apres, il fondait lui-même un cirque à Neuilly , le Cirque Alberti, et conviait tout Paris à venir le regarder faire la voltige. Ce trait de Bourgeois-Uentühomrne moderne, de Bourgeois-(Je»tilhon |[ne répuh.-'ain, n’est-il pas exquis? Ne prouve-t-il pas une fois de plus quels exemples utiles auraient pu douner les derniers survivants de l’aristocratie, s’ils avaient aimé autre chose que le cabotinage, le jeu, et les filles?