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LA FRANCE JUIVE
œuvre et n’eùt pas répondu. Si celle qui lui parlait eilt succombé à l’entraînement du cœur, si elle eût été victime d’une de ces passions profondes devant lesquelles l’être est si faible, l’auteur du Demi-Monde se fût certainement tu encore, car, si l’esprit est dur chez lui, le cœur a des tendresses que le vulgaire ne connaît pas. Tel n’était pas le cas ici. Celle qui s’exprimait ainsi avait été une prostituée, elle avait reçu de l’argent pour se livrer; c’est la prostitution qui avait payé l’hôtel dans lequel elle habitait, les chevaux qui la portaient au Bois, les tableaux de maîtres qui garnissaient sa demeure, la parure qui ornait sa décrépitude élégante.
Elle continuait à parler delà vertu, à flétrir les filles corrompues et les écrivains corrupteurs.
Soudain, Dumas fixa sur elle son regard bleu si aigu, puis lui frappant vigoureusement sur le ventre...
— As-tu fini ? dit-il simplement.
Un flot de larmes vint aux yeux de la créature...
As-tu fini ? est un mot qui sert. Les plus éhontés parmi nos républicains tripoteurs, nos magistrats déshonorés, nos administrateurs familiers avec tous les crimes, hésitent parfois à s’en prendre directement à un Parisien accoutumé à ne se gêner qu’avec ce qui est honnête; ils craignent cet as-tu fini? gouailleur, mépriseur, vengeur, qui rappellerait à ces impudents tout leur passé d’infamies.
Les prêtres, les braves gens, les vieillards habitués à respecter les conventions sociales, ne savent pas dire : As-tu fini? Malesherbes ne l’a pas dit à Fouquier-Tinville,etc ’estun des spectacles les plus afireusement comiques qui se puissent imaginer que celui de tous ces grands parlementaires, de tous ces personnages austères et vénérables s’abaissant à donner des raisons aux misérables couverts de sang qui remplissaient alors les prétoires.
Tombées dans quelque embûche, atteintes au cœur par quelque campagne organisée contre elles, les victimes de la Franc-Maçonnerie s’en vont ruminer leur infortune dans un coin. Le mari quelquefois regarde sa vieille compagne, et tous deux se sont compris: ils pensent à la même chose, au malheur d’avoir trop vécu, à la carrière brisée, au nom que naïvement ils se figurent déshonoré *.
Quel livre à faire sur ces souffrances intimes, sur ces drames qui se
1. Voir la mort de M. Maltrejean, un vieux magistrat, frappé par Martin-Keuillée, pris d'une mélancolie noire et qui se suicida au mois de février 1885.