LE JUIF
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Le corps d’un condamné, en effet, est considéré, avant l’exé'ution, comme un cadavre, et, d’après les prescriptions de la loi, un cadavre juif ne doit pas être touché par les chrétiens.
L’exécution, en 1817, dans une ville d’Alsace , d’un Juif nommé Isaac, fut vraisemblablement la dernière qui se passa selon les règles.
Les dix principaux habitants israélites de la ville demandèrent à monter sur l’échafaud pour former le minian, les prières publiques devant être faites par des hommes âgés de plus de treize ans.
Le coupable, dégagé de tout lien, marchait d’un pas ferme, il était revêtu du sa rguenesse, linceul blanc en forme de longue blouse, dans lequel on ensevelit les morts (un semblable linceul est toujours donné comme cadeau de noces à un mari par sa femme). Il portait le taleth le voile de lin que l’on porte pendant la prière et les tephilines, philactères qu’on applique sur le front et au bras gauche. Le grand rabbin de Winzenheim l’assistait.
Isaac récita une dernière fois le vidoui, la prière que disent les agonisants et que l’on récite le jour du Grand Pardon, et fut attaché sur la planche par ses coreligionnaires eux-inêmes.
Notez qu’en reproduisant ces détails, je n’obéis à nulle arrière-pensée de raillerie. Cette assistance donnée à un malheureux par ses frères me semble absolument touchante, quoiqu’on ne voie pas Rothschild ou Gamondo venant attacher un de leurs camarades sur la planche.
Ajoutons que les confréries de pénitents qui ont subsisté presque jusqu’à nos jours, étaient constituées précisément pour aider un pauvre diable à franchir doucement un pas difficile. Sous l’Empire, quand une exécution devait avoir lieu, on envoyait un service à Wolff, comme pour une première; on prévenait sur les boulevards tous les représentants de l’inter- lopie cosmopolite, tous les cocos et toutes les cocottes. Dans l’appartement du directeur, illuminé a giorno, on buvait et On mangeait dans tous les coins jusqu’à l’heure où le chef de la Sûreté venait dire au condamné : « Allons, ma petite vieille, voilà le moment. » L’archevêque de Paris n’a jamais protesté contre ces scandales. Ms r Darhoy s’en est-il souvenu lorsqu’à son tour il a été prisonnier à la Roquette?
Aujourd’hui, Grévy gracie pêle-mêle, entre deux carambolages, les parricides, les empoisonneurs, les assassins de vieilles femmes et d’enfants. Il a raison. Une société qui supporte les infamies auxquelles nous assistons depuis six ans est déchue même du droit de punir.
Il convient, en tout cas, de rapprocher le respect montré par le gouvernement de la Restauration pour les usages d’une religion qui est la négation même de la nôtre, de la conduite ignoble que tint à la Roche-