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LA FRANCE JUIVE
argent qu’ils dépensaient de la façon la plus magnifique et la plus large. Les artistes et les lettrés étaient chez eux dans les incomparables demeures de ces patriciens bons garçons. Lauraguais distrayait incessamment Paris par ses aventures, ses amours, ses mots, ses duels, ses brochures, ses épi- grammes, ses procès excentriques, les explosions de sa belle humeur de Français.
L’opulence n’allait-elle pas mieux à ce grand seigneur de haute mine, à cet amoureux de Sophie Arnould, à ce généreux qui donna la somme nécessaire pour faire disparaître les banquettes qui encombraientla scene, à ce collaborateur de Lavoisier, à ce fantaisiste si original, qu’à ce petit chafouin d’Alphonse de Rothschild, qui passe, lugubre, à travers Paris avec son blafard faciès d’Allemand? C’est à toi-même que je le demande, baron, qu’avons-nous gagné au change ? Tu prends l’argent comme Lauraguais et tu en prends davantage ; seulement Lauraguais, avec ses saillies, m’aurait au moins diverti, et toi, tu ne m’amuses pas...
Il n’y a pas de médaille sans revers et de victoires sans inconvénients. La conquête de l’Alsace avait, elle aussi, apporté à la France une quantité considérable de Juifs dont celle-ci se serait bien passée.
Très nombreux en Alsace, les Juifs y étaient fort durement traités. Ils dépendaient non du souverain directement, mais des seigneurs, qui, cependant, par un contraste singulier, avaient le droit de les recevoir et non de les expulser. Ils devaient payer, outre le droit d’habitation, montant d’ordinaire à 36 livres par an, un droit de réception fixé à peu près à la môme somme; ils étaient, en outre, assujettis à des droits de péage. A la suite d’une sédition qu'ils avaient excitée en 1349, ils n’avaient pas la faculté de séjourner à Strasbourg et payaient un impôt toutes les fois qu’ils entraient dans la ville.
La réunion de Strasbourg à la France améliora un peu leur situation. A partirdel703, dit M. A. Lagrelle, dans son livre : Louis XIVet Strasbourg, les autorités françaises insistèrent pour qu’on se relâchât de ces antiques usages, parce que des marchands israélites avaient accepté d’elles la charge de fournitures militaires. La guerre finie, le Sénat dut tolérer encore, pour les mêmes motifs, un fournisseur appartenant à la confession proscrite, Moïse Blieu. Ce revirement, dont bénéficia aussi la famille Cerfbeer, attira si bien les Juifs, qu’avant 89, on en comptait vingt mille dans le pays, possesseurs de 12 à 15 millions de créances.
Louis XII avait étendu à la Provence les ordonnances qui expulsaient