LE JUIF DANS L'HISTOIRE DE FRANCE
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les Juifs de France, mais beaucoup d’entre eux avaient, dans ces régions, suivi le conseil que leur avaient donné leurs coreligionnaires étrangers et fait semblant de se convertir. En 1 i89, au moment où il était question d’une expulsion, Chamorre, rabbin de la Jussion d’Arles, avait écrit, au nom de ses frères, aux rabbins de Constantinople pour demander ce qu’il fallait faire et avait reçu la lettre suivante datée du 21 décembre 1489* :
« Bien-aimés frères en Moïse,
« Nous avons reçu votre lettre par laquelle vous nous signifiez les traverses et les infortunes que vous pâtissez, le ressentiment desquelles nous a autant touché qu’à vous autres. Mais l’avis des plus grands rabbins et satrapes de notre loi est tel que s’ensuit :
« Vous dites que le roi de France veut que vous soyez chrétiens, faites- le puisque autrement vous ne pouvez faire, mais gardez toujours la loi de Moïse dans le cœur.
« Vous dites qu’on veut prendre vos biens ; faites vos enfants marchands, et par le moyen du trafic, vous aurez peu à peu le leur.
« Vous vous plaignez qu’ils attentent contre vos vies, faites vos enfants médecins et apothicaires qui leur feront perdre la leur sans crainte de punition.
« Vous assurez qu’ils détruisent vos Synagogues, tâchez que vos enfants deviennent chanoines et clercs parce qu’ils ruineront leur Eglise.
« Et à ce que vous dites que vous supportez de grandes vexations, faites vos enfants avocats, notaires et gens qui soient d’ordinaire occupés aux affaires publiques, et par ce moyen, vous dominerez les chrétiens, gagnerez leurs terres et vous vengerez d’eux. Ne vous écartez pas de l’ordre que nous vous donnons, car vous verrez par expérience que d’abaissès que vous êtes vous serez fort élevés.
« V. S. S. V. F. F. Prince des Juifs de Constantinople, le 21 de casleu 1489. »
Il est inutile de dire que cette lettre, elle aussi, est déclarée apocryphe. Nous ne voyons pas, quant à nous, sur quoi on s’appuie pour contester l’authenticité de cette pièce qui résume admirablement la politique juive’.
Dans le Comtat Venaissin seulement, qui était alors terre papale,les Juifs de France avaient trouvé une liberté à peu près complète et une sécu-
1. Le texte original des deux lettres a été publié pour la première fois par l’abbé Bouis, prêtre d’Arles, dans un ouvrage qui porte ce titre : La Royalle couronne des roys d’Arles, dédiée à Messieurs les consuls et gouverneurs de la ville, par J. Bouis, prêtre, à Avignon, par Jacques Bramerav, 1644.
2. 11 faut lire, à ce sujet, dans l’ouvrage de l’abbé Chabauty : Les Juifs, nos maîtres, quelques pages qui sont un chef-d'œuvre de critique ingénieuse et fine, d'érudition et de modération.
L’éminent écrivain ne laisse pas subsister pierre sur pierre des objections que les Juifs ont essayé d’élever contre l'authenticité de ces lettres.