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LA FRANCE JUIVE
réelle du Juif. Voltaire , qui a attaqué surtout l’Ancien Testament, en liaine du Nouveau, a accablé les Juifs de ses railleries polissonnes, mais il a parlé d’eux a>mme il parlait de tout, sans savoir ce qu’il disait.
La haine de l’auteur de la Pucelle contre Israël était, il faut le reconnaître, inspirée par les mobiles les plus vils et les plus bas. Voltaire fut au xvni' siècle, avec le talent, le style et l’esprit en plus, le type parfait de l’opportuniste d’aujourd’hui. Affamé d’argent, il était sans cesse mêlé à toutes les négociations véreuses de son temps. Lorsqu’au moment du centenaire, Gambetta, dans une conférence présidée par le Badois Spuller, vint louer l’ami du roi de Prusse et déclarer qu’il était le père de notre République, il accomplissait véritablement un devoir de piété filiale. Associé aux fournisseurs qui faisaient crever de faim nos soldats et qui les laissaient tout nus, affilié à tous les maltôtiers de son temps, Voltaire , de nos jours, aurait eu Ferrand pour commanditaire; il aurait réalisé un joli bénéfice dans l’emprunt Morgan ; il eût damé le pion à Challemel-Lacour et à Léon Renault dans les négociations financières.
Rien d’étonnant, dans ces conditions, que Voltaire ait été mêlé de bonne heure aux affaires des Juifs. Ce Français au cœur prussien résolut d’ailleurs le difficile problème d’être plus âpre au gain que les fils d’Israël , plus fourbe que ceux qu’il insultait.
Espion d’espion pour le compte de Dubois, telle est la posture, pour employer un mot de Ferry , dans laquelle se révèle d’abord à nous le grand homme cher à la démocratie française. Un curieux fragment de sa correspondance, auquel, seul de nos écrivains, M. Ferdinand Brunetière a fait une légère allusion *, nous montre le philosophe, à l’âge où les nobles sentiments fleurissent dans les natures les moins bien douées, dénonçant à Dubois un malheureux Juif de Metz , Salomon Lévy, qui faisait honnêtement son métier d’espion.
La lettre, adressée à Dubois à la date du 28 mai 1722, est intéressante pour l’ordre des études que nous poursuivons; elle éclaire bien la figure de Voltaire , et nous montre également en action le Juif informateur cosmopolite pénétrant partout grâce à sa race 1 2 . Cela pourrait s’appeler les deux agents et servir de pendant à la lutte des deux policiers de Balzac : Peyrade et Gontenson. C’est Voltaire cependant qui paraît le plus habile, peut-être parce qu’il est le moins scrupuleux.
1. Etudes critiques sur l’histoire de la littérature française.
2. Cette vocation est tellement innée chez eux, que nous voyons Heine lui-même, « ce rossignol qui, selon une jolie expression, avait fait son nid dans la perruque de Voltaire , » émarger aux fonds secrets, pendant toute la durée du règne de Louis-Wùlippe.