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LA FRANCE JUIVE
vie, car il n’avait pas la philosophie des bons souscripteurs des mines de Bingham*.
Lorsque M. Médina, écrivait-il quelque temps avant sa mort, me fit à Londres une banqueroute de vingt mille livres, il y a quarante-quatre ans, il me dit que ce n’était pas sa faute, qu’il n’avait jamais été enfant de Bélial, qu’il avait toujours tâché de vivre en fils de Dieu , c’est-à-dire en honnête homme, en bon Israélite . Il m’attendrit, je l’embrassai, nous louâmes Dieu ensemble... et je perdis quatre-vingts pour cent...
Près d’un demi-siècle s’écoula sans amortir ce cuisant souvenir.
L'affaire d’Abraham Hirsch, ou Hirschell, affecta le grand homme plus profondément encore. S’il n’y perdit qu’une partie de son honneur, auquel il tenait peu, il y perdit l’amitié de Frédéric, à laquelle il tenait beaucoup.
Pour comprendre l’affaire Hirsch, nous n’avons qu’à nous souvenir de l’affaire des Bons tunisiens. C’est la même opération avec des variantes presque insignifiantes.
Sous le gouvernement des rois de Pologne , la Saxe avait émis des billets qu’on nommait billets de la Slaûere t qui étaient tombés à 35 pour 100 au-dessous du taux d’émission. Frédéric II stipula par le traité de Dresde que ces billets seraient remboursés au taux d’émission. Plus probe néanmoins que nos gouvernants, il déclara formellement qu’aucun agiotage n’aurait plus lieu sur ces billets.
C’est le contraire précisément, on le comprend de suite, de ce qui s’est passé pour nos chemins de fer de l’État ou pour le chemin de fer de Bone à Guelma, où les députés, qui étaient dans l’affaire, achetèrent à vil prix aux premiers souscripteurs, les seuls intéressants, des titres démonétisés qui soudain reprirent toute leur valeur, lorsque la France eut donné sa garantie.
C’est le contraire également des Obligations tunisiennes. Tombées à rien, grâce à la campagne que le Juif Lévy-Grémieux fit contre elles dans la République française , elles furent accaparées par la bande de Gambetta et sont devenues des valeurs de premier ordre, maintenant que la France , pour enrichir quelques membres de l’Union républicaine, prend à son compte les dettes du Bey de Tunis, qui ne la regardent pas plus que les dettes de l’Empereur de Chine.
Un joaillier juif vit l’opération à faire, et vint dire à Voltaire : « Vous ôtes bien en cour; achetons de compte à demi des billets de la Slaùer au rabais, et faisons-nous-les rembourser au pair. »
1. Consulter à ce sujet un travail fort curieux publié sous ce titre : Voltaire et les Juifs, dans les Archives Israélites (N 05 des 16, 23 mars, 7, 20, 27 avril 11882).