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LA FRANCE JUIVE
vant : « Convaincue que l’homme qui idolâtra les rois et eût l'orgueil, même sous l’ancien régime, d’être au-dessus de tous les nobles ne pourra jamais être l'ami de la liberté; ayant cependant égard à son empressement à acheter des biens nationaux, quoiqu’il ne puisse avoir en vue que ses propres intérêts, le condamne à une amende de 1.200.000 livres dont 1.000.000 pour la République , et 200.000 livres pour les sans-culottes de Bordeaux . »
Un autre personnage important de la Juiverie en France au xvni f siècle fut Liefmann Calmer. L’Annuaire des Archives israélites nous apprend qu’il était né en 1711, à Aurich , dans le Hanovre . Il s’appelait en hébreu Moïse-Eliezer Lipmann, fils de Calonymos ; c’est sans doute la transcription hébraïque qui a fait Liefmann de Lipmann et le nom de Calonymos (en allemand Kallmann ), qui est devenu son nom de famille, Calmer.
Calmer se fixa d’abord à La Haye et épousa Rachel-Moïse Isaac. Bientôt il quitta la Hollande pour s’établir en France et il y obtint, je ne sais comment, des lettres de naturalité pour lui et pour ses enfants. Calmer ne s’arrêta pas en si beau chemin, et ce fut en réalité le premier baron juif qü’il y eut en France .
Le 27 avril 1774, un homme de paille, Pierre Briet, seigneur de Berna- pré, acheta des créanciers du duc de Chaulnes, moyennant 1.500.000 livres, la baronnie de Picquigny et vidamé d’Amiens. Bientôt après, on déclara que l’acquisition était faite au nom de Liefmann Calmer, grand bourgeois de la ville de La Haye , naturalisé Français et devenu ainsi seigneur de la baronnie de Picquigny et vidame d’Amiens.
A partir de ce moment, Calmer passa sa vie en procès. Loin de chercher à se montrer conciliant et humble, il avait la prétention d’exercer dans toute leur rigueur ses droits féodaux; il poussa l’impudence jusqu’à vouloir conférer lui-même les prébendes de la collégiale de Saint-Martin de Picquigny . On n’était pas habitué alors à voir les Juifs, comme le fit Grémieux, désigner des évêques, et l’évêque d’Amiens s’éleva avec une rare énergie contre cette incroyable prétention 1 .
Malgré tout le tapage fait par Peixotto et par Calmer, la situation des Juifs à Paris était encore bien précaire. Un détail le dit plus que tout le reste : ils ne savaient même pas où se faire enterrer. Ils ensevelissaient leurs morts à la Villette, dans le jardin d’une auberge derouliers, àl’ensei-
1. Calmer mourut en 1784. 11 avait eu quatre fils : deux furent guillotinés sous la Terreur; le dernier s’éteignit sans postérité en 1823.