LA FRANCE JUIVE
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Une difficulté se présenta encore au dernier moment. Calmer avait fait au nom de sa femme l’acquisition d’un terrain à La Villette ; en voyant que ses coreligi lunaires allaient prendre ce terrain, la femme de Calmer écrivit à M. de Vergennes, ministre des affaires étrangères, pour empêcher cette acquisition et forcer les Juifs à prendre le terrain de La Villette .
Enfin, tous les obstacles furent levés, et, le 31 mai 1785, Lenoir autorisa M. Cerfbeer à disposer en faveur des Juifs du terrain qu’il avait acheté au Petit-Montrouge. Ce terrain servait encore en 180i; il a été remplacé par un terrain au Père-Lachaise accordé par la Ville, et comme ce second terrain n’a pas tardé à être insuffisant, la Ville en a accordé un autre à Montmartre . Quandles Chrétiens gêneront les Juifs devenus de plus en plus nombreux, on jettera leurs ossements au vent, ou on les brûlera, comme le veulent Naquet et Salomon.
Le cimetière de Montrouge était ouvert non seulement aux Juifs de Paris , mais à ceux qui rôdaient autour de la Cour dans la banlieue de Versailles , guettant toujours l’occasion d’un prêt usuraire à faire à quelque gentilhomme pressé d’argent.
Ce fut par eux précisément que Louis XVI se trouva un jour en face du Juif que ses ancêtres avaient chassé, et que devant lui se posa l’éternelle question sémitique.
Telle qu’elle est racontée par les Archives Israélites, l’entrevue est saisissante *.
Un jour de l’année 1787, Louis XVI partait pour la chasse, entouré de
grand rabbin d'Amsterdam, Saül, qui passait par Paris pour se rendre à Jérusalem , afin de finir ses jours dans la ville sainte. M. Albert Gohn, auquel nous empruntons quelques-uns de ces détails, nous apprend qu’on recourut aux connaissances talmudiques du voyageur pour l’établissement d’un bain religieux qui n'existait pas encore. A cette époque, on en organisa un sur un bateau de blanchisseuses près le Pont-Neuf, qui resta à la même place pendant trente-huit ans.
On ouvrit, à peu près vers le même temps, deux petites écoles de garçons, dans lesquelles on apprenait à lire l’hébreu. L’une était dirigée par J. Cahen, l’autre par M. Aron, Polonais, dont le descendant, qui avait été mon condisciple, devint directeur du Journal Officiel , parce qu'il était Juif, et, sous prétexte que j’étais chrétien, trouva moyen de m’enlever une petite situation que j’occupais dans ce journal.
Pendant la Terreur, ces deux maîtres conduisaient chaque Déeade leurs élèves à Notre- Dame , devenue letemple de la Raison,pour y voirlafilled'opéraqui dansaitsurle mattre-autel.
1. Le lieu de la rencontre lui-même est intéressant. Cinquante ans après, le Juif Fould était maire de Roquencourt, et par sa tyrannie était devenu la terreur des habitants. Les belles chasses de Roquencourt appartiennent maintenant à Hirsch, l'inventeur des Bons Ottomans, le fantaisiste personnage qui prétend que la noblesse de France est très honorée d’aller chez lui. C’est lui, on le sait, qui voulait faire tirer par son garde sur les officiers d’un régiment d’artillerie en garnison à Versailles , parce que le chien d’un sous-lieutenant s’était irrévérencieusement aventuré sur ses propriétés. (Voir livre V.)