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LA FRANCE JUIVE
mère m’emmena avec elle pour savoir pourquoi on n’apportait pas une paire de bottes promise depuis longtemps. Quand nous arrivâmes, dans l’escalier noir, un escalier affreux à la rampe humide que je sens toujours, tant sont vivaces les impressions enfantines, suinter sous mes doigts, tout un monde de commères, de voisins, d’ouvriers commentait la lamentable histoire du malheureux. Avec les économies de toute sa vie, il avait, par l'entremise d’un changeur juif , acheté des actions du Crédit mobilier à l’insu de sa femme; il avait tout perdu, et il s était pendu avec les cordons de son tablier de travail.
Ces menus détails ne troublaient point, je suppose, Isaac Pereire ; il était fidèle cependant aux théories humanitaires de sa jeunesse; après avoir commencé par faire son bonheur à lui, il rêvait de faire le bonheur du monde entier.
Volontiers il plaçait dans la conversation le fameux aphorisme :
« Toutes les institutions sociales doivent avoir pour but l’amélioration du sort moral, intellectuel et physique delà classe la plus nombreuse et la plus pauvre. »
Notez que le Saint-Simonisme n’a amélioré ce sort en aucune façon, tout au contraire. Le pauvre chauffeur qui, nuit et jour debout sur sa locomotive, exposé au froid, à la chaleur, le visage fouetté par la neige et par le vent, contracte une de ces terribles maladies que la science demeure impuissante à guérir, est bien inférieur, au point de vue physique et moral, au bon villageois qui vivait paisible dans un coin de la vieille France , ne travaillait pas au delà de ses forces, et s’endormait dans la mort avec l’espérance de jouir des béatitudes éternelles.
Il en est de même de la devise célèbre : « A chacun selon sa capacité, à chaque capacité selon ses œuvres.» Que de bascoulissiers juifs, de Franc fort ou de Cologne , venus en France à la suite des Rothschild , et qui n’ont ni capacité, ni œuvres bonnes ou mauvaises, possèdent le superllu, tandis que des hommes, qui ont de la capacité et qui ont produit des œuvres., manquent du nécessaire !
Aucune de ces doctrines ne résiste à l’examen, et comme tant d’autres, Isaac Pereire prêchait toujours la participation sans avoir jamais fait participer à rien ceux qui l’entouraient.
Profitons de la circonstance pour faire remarquer le côté blagueur de tous ces prétendus apôtres du Progrès. Voilà, par exemple, un homme comme Isaac Pereire , qui a toute sa vie chanté l’association, la coopération; comment n’a-t-il pas eu l’idée de dire : « Tiens, j’ai été journaliste et besogneux dans ma jeunesse; le journal la Liberté n’est qu’une épingle dans