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LA FRANCE JUIVE
esclaves, avant d’expirer, mais leur laissaient de quoi vivre tranquilles. « Après ma mort, dit Trimalcion lui-même, je veux que mes esclaves boivent de l’eau libre. »
Les Pereire cependant sont relativement de braves gens. Ils vivent fort simplement et n’ont même pas, je crois, de loge à l’Opéra ; ils font du bien, modérément, mais ils en font et ils le font sans bruit ; de famille infiniment plus honorable et plus française que les Rothschild , ils n’ont point, comme ces échappés de ghetto, la fureur de se mettre sans cesse en avant, la grossière impudence de venir écraser de leur faste insolent des familles dont le nom est glorieusement mêlé à notre histoire. Cette attitude leur attire la considération, et sous le rapport mondain, ils sont aussi respectés que les Rothschild , avec leurs prétentions ridicules, sont honnis, bafoués et méprisés de ceux mêmes qui les fréquentent.
Avec les idées qu’ils remuèrent, les Pereire rendirent au Judaïsme, sous le gouvernement de Louis-Philippe , l’immense service de faire sortir les Juifs de leur isolement, de les mêler de plus près à la collectivité, de bien mettre sur l’horizon la siliouette du Juif humanitaire servant en apparence la cause de la civilisation.
A la vieille usure les Rothschild avaient substitué les emprunts d’État. Les Pereire créèrent tout un système financier nouveau; bienfaits du crédit, roulement incessant de l’argent, circulation des capitaux, ils enveloppèrent le tout d’un simulacre de philosophie et d’un soupçon de littérature : rapprochement des peuples, amélioration, suppression du paupérisme...
Sans doute les Pereire eux-mêmes n’auraient pas trouvé cela tout seuls. A leurs intimes ils montraient le crâne de Saint-Simon qu’ils avaient pieusement gardé dans leur demeure ; on peut dire que ce crâne était un emblème. De ce malheureux crâne vidé, gratté, curé, raclé par les deux frères, étaient sorties toutes les idées de Crédit foncier et de Crédit mobilier, toutes les étiquettes de sociétés qui ont enrichi Israël au xix» siècle.
Le mérite des banquiers de la rue Saint-Honoré fut de voir ce qu’on pouvait tirer de ce thème. Ils fournirent ainsi aux Juifs allemands cette petite histoire, ce romancero pacifique ou guerrier qu’il faut toujours raconter à l’Aryen pendant qu’on lui prend son magot, la musique nécessaire pour accompagner l’extraction des molaires.
Cette mise en scène n’était pas inutile.
L’envahissement du Juif, en effet, subi docilement aujourd’hui, soulevait alors de violentes protestations.