LE JUIF DANS L’HISTOIRE DE FRANCE
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comprendre que la chance de gagner implique qu’on accepte le risque de perdre. ,
La conduite du gouvernement était toute tracée : il n’avait qu’à empoigner ce banqueroutier et qu’à le déposer à Mazas, qui justement venait d’être construit.
Le bon Goudchaux, vous le devinez, se garda bien d’agir ainsi, il considérait comme valable la théorie de Rothschild , que la parole donnée au goy n’engage pas le Juif. Non seulement il admit en secret cet homme, qui venait de manquer à ses engagements envers l’État, à une nouvelle émission de 13 millions de rente 5 pour cent à d’excellentes conditions, mais encore il poussa l’amabilité jusqu’à lui fournir les fonds nécessaires au service de l’emprunt grec.
Ici Gapeflgue tombe frappé d’admiration, et nous nous expliquons ce sentiment 1 . Dans l’histoire, je connais peu d’épisodes plus amusants. Le peuple est tout noir de poudre ; il meurt de faim sur les pavés qu’il a remués ; tous les ateliers sont fermés ; enfin il est vainqueur, il est émancipé, il a assuré la liberté du monde, il a réussi... à quoi? A mettre au ministère des Finances un obscur changeur juif : le Goudchaux. Au milieu de tant de misères suppliantes, une misère seule frappe l’âme sensible de l’enfant d’Israël ; dans le Trésor à sec, il trouve moyen de ramasser quelques fonds, et il les porte lui-même... à M. de Rothschild!... Voilà, Lockroy, la comédie que tu aurais dû faire ; tu nous aurais divertis davantage qu’avec le Zouave est en bas...
Proudhon , d’un mot rude et juste, définit la Révolution de 1848 : « La France, dit-il, n’a fait que changer de Juif. »
Peu s’en fallut, cependant, que cette Révolution n’eût une influence considérable sur l’avenir de la France . Dès la proclamation de la Répu blique , les paysans du Haut et du Bas-Rhin , si cruellement pressurés,
I. Emile Barrault , dans la série de Lettres vendues dans les rues en forme de placards qu'il adressait, en 1848, alors qu’il était rédacteur en chef du Tocsin des Travailleurs, à tous les hommes du moment, à Lamartine , à Thiers , à Cavaignac , au prince Louis Napoléon , manifestait le même étonnement :
« Vous êtes un miracle, monsieur, disait-il, au début de sa lettre à Rothschild . Malgré ses quatre archiducs, malgré sa majorité légale, Louis-Philippe tombe ; Guizot s’abtme; ensemble s’en vont la royauté constitutionnelle et l’éloquence parlementaire: vous résistez. Et ce n’est pas seulement la puissance établie que Février renverse ; ce qu’il élève, il l’abat. Où sont la personnification de la poésie, et l’illustration de la science, qu’une explosion de popularité lança jusqu’au faite ; où sont Arago et Lamartine ? A terre. Vous, vous planez. Actionnaires, boutiquiers, fabricants, rentiers, se culbutent en foule, grands sur petits, écrasants sur écrasés. Seul, au milieu de tant de ruines, vous ne bronchez pas... Bref, toute opulence s’écroule, toute gloire s’humilie, toute domination se précipite ; le Juif, roi de l'époque, a gardé son trône.»