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LA FRANCE JUIVE
par la date, et qui semble déjà perdu dans le lointain des âges, vous n’avez qu’à relire les beaux discours dans lesquels les tripoteurs et les satisfaits d’aujcurd’hui flétrissaient ces scandales, ces déchaînements d’appétits, cette déification de la richesse, opposaient à ces corruptions l’austère image de la future République qui réduirait les dépenses, proscrirait le népotisme, respecterait le domicile de chacun !
Un livre d’un grand écrivain, qui du moins, lui, est un honnête homme, les Manieurs d’argent , résume ce mouvement, comme le livre de Toussenel avait résumé le mouvement du règne de Louis-Philippe.
Toussenel, cependant, avait eu le courage d’indiquer le rôle prépondérant du Juif dans ces hontes. M. Oscar de Vallée a laissé ce point dans l’ombre. Le temps avait marché, en effet, et le Juif était devenu un adversaire qu’on ne pouvait pas braver sans danger. Cette lacune, néanmoins, enlève à l’ouvrage toute signification précise, et en fait une déclamation à la Sénèque plus qu’une étude prise sur le vif de la société française.
Malgré tout, cette première phase eut une allure pittoresque, un entrain endiablé. Le Juif du Midi n’est pas éloigné de croire que l’Aryen a le droit de manger quelquefois ; il se frotte de lettres comme le Bordelais se frotte d’ail; il n’est point incapable d’apprécier un article de journal.
Le Constitutionnel, ce Voltaire de l’époque, le Pays, ce Paris de l’Kmpire, ouvrirent leurs caisses à des écrivains qui n’étaient pas sans talent. Millaud fonda l’Histoire, qui tomba avant lui, et le Petit Journal, qui survécut à son neveu Alphonse. Sans avoir les nobles allures des Fermiers généraux qui s’appelaient Lavoisier ou Beaujon, qui créaient la chimie ou fondaient des hôpitaux, les traitants de l’Empire se plaisaient à la société des artistes ; ils furent même littérateurs à leurs heures : à Solar, qui faisait jouer Clairon et Clairette, Millaud ripostait en donnant au Palais-Royal Ma Nièce et mon Ours.
A quelques-uns, comme à Solar, la fortune était venue sans qu’ils fissent grand’chose pour la conquérir, en vertu de cette force secrète qui amène l’argent au Juif comme le fer à l’aimant. A certains jours, l’auteur de Clairon et Clairette paraissait comme embarrassé de ses millions. Qui ne connaît le mot mélancolique de ce millionnaire malgré lui ; « Paix et peu, telle a toujours été ma devise : j’ai toujours vécu dans le bruit, et j’ai fini par avoir trop. »
Français déjà à demi, avant la Révolution, les Juifs de Bordeaux s’entouraient de Français ; leurs convives s’appelaient Dumas père, Ponsard, Albéric Second, Méry, Monselet.