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LA FRANCE JDIVE
Waterloo; elle n’avait qu'à faire ce qu’elle avait toujours fait dans des circonstances analogues, à signer la paix, à soigner ses blessures, à dire : « Je serai plus heureuse une autre fois. »
C’est ainsi que Bismarck, qui raisonnait d’après les principes du sens commun, avait compris les choses. Ainsi qu’il l’a déclaré à maintes reprises, notamment à M. Werlé, maire de Reims 1 , il comptait signer la paix à Reims ; après quoi chacun serait rentré chez soi, les uns avec un pied de nez, les autres avec des lauriers, ainsi que cela se voit depuis le commencement du monde.
Deux milliards, c’était bien maigre pour les Juifs, qui traînaient après eux tout un personnel d’affamés, auxquels on avait promis les dépouilles de la France.
Il se produisit alors un des faits qui restera le plus singulier du xix e siècle et, on peut le dire, de tous les siècles. Un monsieur, né de parents restés Italiens, à peine Français lui-môme, puisqu’il n’avait opté pour la nationalité française qu’au dernier moment et avec la certitude qu’une infirmité le dispenserait de tout service, doublement étranger, puisqu’il était Juif, et qui, en tout cas, ne représentait que les douze mille électeurs qui l’avaient nomme, vint dire :
« Mon honneur est tellement chatouilleux, mon courage est d’une essence si rare, que je ne puis consentir à ce qu’on fasse la paix, et que, de mon autorité privée, je veux continuer une guerre à outrance. »
Dans les civilisations les plus rudimentaires, chez les Gafres et chez les Boscliismans, il y a, dans les cas graves, un semblant de consultation du pays ; on demande à la tribu réunie : « Etes-vous d’avis de prendre vos arcs, vos flèches ou vos tomahawks ? »
1. Lire la conversation de M. de Bismarck avec le maire de Reims. M. Werlé, en quittant le Chancelier, consigna fidèlement le teite exact de cet entretien dans le journal qu’il tenait des moindres faits de l’occupation prussienne; le Figaro a reproduit une partie de ce document.
Le roi de Prusse quitta Reims pour se rendre à Ferrières, le mercredi 14 septembre, vers dix heures du matin.
La veille, M. de Bismarck, vint trouver M. Werlé et lui dit :
« Nous partons demain ; je quitte, le cœur gros. — Nous espérions signer la paix à « Reims, c’était la volonté du roi et mon plus ardent désir : c’est dans cet espoir que nous « sommes restés dix jours ici. — On nous force de continuer la guerre... on le regrettera. »
— Monsieur le comte, interrompit M. Werlé, la France n’a aucun intérêt à continuer la guerre, et, pour qu’elle refuse la paix, il faut que vos conditions soient inacceptables.
— Je vais vous les dire, reprit M. de Bismarck : nous demandons deux milliards, Strasbourg « avec une bande de terrain do 4 ou 5 lieues de large jusqu’à Wissembourg, afin que le « llbin coule des deux côtés dans des villes allemandes. — Nous demandons la réunion des « Chambres, car c’est avec elles seules que nous pouvons traiter, et c'est — ajouta-t-il — cette « dernière condition qui rencontre le plus de difficultés. »