LE J U 11 1 ' DANS L’HISTOIRE DE FRANCE
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la misère, avaient accepté une petite place sous la Commune et barboté quelques sous dans les caisses où les gens du 4 Septembre, tous pauvres avant, tous riches après, n’avaient pas laissé grand’chose.
Pour les infortunés de cet ordre, ils étaient sans merci ; ils ne trouvaient pas de tortures suffisantes pour les punir; ils les expédiaient au delà des mers, dans des espèces de cages, et regrettaient sans doute de ne pouvoir les envoyer tous au plateau de Satory.
Est-ce donc que le cœur des hommes de la droite fût cruel ou leur intelligence médiocre? Non. Seulement ils avaient le cerveau conformé d’une certaine façon, ils voyaient comme cela, ils étaient imbus des préjugés les plus bourgeois. Un homme qui occupait une situation dans le monde, comme Jules Favre , pouvait tout se permettre, faire tuer des milliers de créatures humaines sans être jamais inquiété; l’idée de fusiller un bâtonnier de l’ordre des avocats, un académicien, eût semblée sacrilège à ces gens polis, comme l’idée de livrer au bourreau un cardinal, un porporato, l'eût paru aux souverains d’autrefois.
Les meneurs de l’Assemblée, d’ailleurs, avaient eu la soif du pouvoir, et, au contraire, n’avaient jamais eu faim; l’ambition leur semblait donc excusable dans ses plus abominables malfaisances, tandis que le malheureux qui avait pris un emploi pour manger leur paraissait digne de tous les châtiments, puisqu’ils ne le comprenaient pas.
La notion de la réalité fut ce qui manqua surtout à ces hommes d’une honnêteté indiscutable, mais d’une expérience pratique nulle; qui, n’étant ni illuminés par en haut, ni renseignés par en bas, devaient fatalement être vaincus par des hommes qui sortaient tout meurtris, tout vibrants, tout fumants, tout souillés parfois de la vie la plus réelle et la plus difficile.
Prenez le plus illustre de ces vaincus, le duc de Broglie. Que pouvait- il savoir du Paris moderne? Il n’avait probablement jamais mis les pieds ni dans un atelier, ni dans un café, ni dans un lupanar; il n’avait causé, les yeux dans les yeux, ni avec des ouvriers déraisonnant après leur journée faite, ni avec des agitateurs de carrefour, qui remuent la société en bouleversant des dominos, ni avec des filles qui vivent et meurent de la corruption des villes. Il quittait sa maison pleine d’exemples dignes d’être imités, de glorieuses traditions, de sentiments élevés, pour aller en voiture vers un autre salon où il retrouvait la même atmosphère; il n’était jamais sorti d'un monde où l’on parle et où l’on pense noblement, où les faiblesses mêmes se voilent d’apparences idéalistes, où les passions sont rarement basses. En regardant en lui-même, il n’apercevait rien qui fût une dégra-