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LA FRANCE JUIVE
4 Septembre trouva que Cambon avait tout pris pour lui et ne lui avait rien laissé, et il courut raconter tout au long, dans le Figaro , ces malpropres tripotages. On entendit alors, pendant quelque temps, le duo le plus amusant qui se puisse imaginer entre la Lanterne et le Figaro . La Lanterne louait imperturbablement l’intégrité de Floquet et déclarait qu’un fonctionnaire comme Cambon, qui se prêtait à ces trafics, était le plus méprisable des concussionnaires. Le Figaro , sans défendre Cambon, affirmait avec quelque raison, qu’il était honteux à Floquet de s’entremettre pour ce Mustapha, qui avait été si longtemps deliciœ domini, et de déshonorer ainsi non seulement lui-même — ce qui était peu de chose — mais la Chambre française dont il était le vice-président et dont il fut plus tard le président ’.
Ils avaient raison tous les deux, l’un pour Cambon, l’autre pour Floquet. Sans doute, sous prétexte de civilisation, on a cruellement rançonné souvent les peuples prétendus barbares, mais jamais aigrefins ne se sont abattus sur un pays avec plus de rapacité; jamais on n’a vu des hommes politiques étaler plus effrontément leur corruption ; jamais faits ne furent plus ignominieux que ceux pour lesquels la presse dut ouvrir une rubrique spéciale: Les Odeurs de Tunis .
Ce qu’il faudrait dire, ce sont les souffrances endurées par nos soldats pour permettre aux Juifs de se livrer à ces opérations.
Ce qui a manqué au récit de cette expédition, c’est un écrivain-peintre, à la manière de Fromentin , racontant les indicibles souffrances de cette guerre faite pour procurer de l’argent à des boursiers.
Qui n’a senti ses poings se serrer en entendant un officier vous décrire cette marche en colonnes, sous un ciel d’airain, sans un arbre à l’horizon, sans une source, avec le désert à quelques pas ! Sur des chameaux, on porte l'eau nécessaire qui, parfois, est en retard de trois ou quatre lieues et
1 . Voir le Figaro des 9 et 11 juillet 1885, qui ne donne point toute la genèse de l’affaire, comme nous le faisons, mais où la spéculation Floquet, Naquet et C le est très exactement résumée; consulter également les innombrables articles de la Lanterne. Ces deux journaux se complètent sur cette question comme les deux bouts d’un étui. La Lanterne, on le sait, avait mis Cambon au défi de la poursuivre et, pour éviter le procès, on dut nommer une commission dite des blanchisseurs composée de Al. de Saint-Vallier, l’ancien ambassadeur, de Flourens, président de section au conseil d’État, et de Martin, inspecteur général des ponts et chaussées.
Al. de Saint-Vallier fut si incommodé des miasmes qui se dégagaient de cette lessive qu’il en mourut six semaines après.