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LA FRANGE JUIVE
gorge desséchée, crie sans cesse : à boire ! Celui-là n’a plus soif, il boit en imagination l’eau limpide du ruisseau natal ; pour la savourer à plus longs traits, il se penche à travers les ajoncs et les herbes; par une de ces associations d’idées qui s’établissent même dans les cervelles en désarroi, il se revoit remontant la colline pour rentrer au village, il s’assied près de la vieille mère, il mange des crêpes de blé noir et des châtaignes,
il ouvre la bouche pour sourire à la payse.et sans souffrance il vient
d’exhaler le dernier soupir. Regardez. la tête exprime la sérénité... le
pauvre piou piou semble dormir et, dans sa main raidie, tient encore la petite médaille de la Vierge que le Frère, qui lui a appris l’ABC, lui a remise en partant. Le coquin galonné qui, pour plaire à la gauche, a supprimé nos aumôniers militaires, n’aura pas réussi complètement. Encore un Français qui vient de mourir en chrétien !
Mais, n’est-ce pas que cette atmosphère putride commence à vous peser? Allez voir Mantegnis qui est à Gamondo, Beauregard qui est à Hirsch. Les ondes jaillissantes qui, semblables à celles de Vaux, « ne se taisent ni de jour ni de nuit, » les frais taillis, les ombrages épais, les merveilles de l'art de tous les siècles embellissent l’existence. La vie est belle, en effet; les actions achetées 125 francs en valent 500, depuis le traité du Bardo, et la France se charge de la dette !
Le joli mot fut prononcé par Gambetta! « Après tout, dit-il à la tribune du Sénat , avec un geste d’indéfinissable dédain, combien est-il mort d’hommes ? 1500 Français tout au plus.»
Cette fois cependant il manqua d'estomac. S’il eût accusé le vrai chiffre, les Juifs l’auraient porté en triomphe 1 .
L’épilogue m’a été conté par un de mes amis qui se trouvait, le 19 novembre 1882, sur la route qui conduit de la gare de Gretz au château de Saint-Ouen-Mantegnis, propriété du levantin Gamondo. « Sur l’omnibus superbement attelé, qui transportait les invités de la gare au château, raconte le Figaro du 22 novembre, étaient installés : MM. Gambetta, accompagné de M. Arnaud de l’Ariège , Léon Renault, Antonin Proust , Dugué de la Fauconnerie, Pignatel, Alfassa. »
1. Un journal de province ordinairement bien informé, l 'Appel au Peuple du Gers , donne un chiffre de dix-huit mille victimes :
« Voulez-vous savoir, pères de famille, combien de vos enfants ont été tués, blessés, réformés ou sont morts de maladie depuis quinze mois pour le seul profit des « Jeckers » de .a Tunisie et de l’opportunisme?
Dix huit mille sur cinquante mille.
Tel est le chiffre officiel que nous donnait hier même un médecin militaire qui a fait toute la campagne et que nous mettons le gouvernement de la R. F. au défi de contredire. »