LE JUIF DANS L’HISTOIRE DE FRANCE
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Dès que vous vous donnez la peine de réfléchir, vous êtes bien vite convaincu qu’il n’existe aucune analogie entre les deux cas.
Les Espagnols ont cherché de l’or, ils en ont trouvé, ils en ont rapporté, et les galions des Indes ont permis aux rois d’Espagne de soutenir une lutte de cinquante ans contre le monde. Si vous aviez des doutes à ce sujet, vous n’auriez qu’à vous adresser à M. Duclerc, l’ancien ministre des Affaires étrangères. Sous prétexte qu’un galion s’était échoué jadis dans la baie de Yigo, il a trouvé moyen de soutirer quinze millions à des actionnaires qui n’ont jamais revu ni l’argent de Philippe II, ni le leur.
Les circonstances, cette fois, sont toutes différentes. Il n’y a pas de mines au Tonkin, et l’on ne fait la guerre que pour lancer une société en commandite qui ressemblera à toutes les entreprises précédentes et ruinera tous ceux qui confieront leurs capitaux aux fondateurs.
M. Raoul Duval, en causant, au mois d’octobre 1884, avec un journaliste qui était venu le questionner, a eu le courage de dire la vérité sur ce point; il a montré nettement le fond de la question :
On a nommé à grand bruit une commission d’ingénieurs pour régler le système des concessions. Le plus clair produit de celles-ci, vous pouvez en être bien sür, sera de faire passer dans la poche des concessionnaires l’argem que de naïfs actionnaires ne manqueront pas de leur donner. Comme valeurs de rapport, il n’y a pas de mines dans le delta du fleuve Rouge, dans lequel nous tenons les points occupés par nos troupes sans qu’il soit possible de sortir de leurs lignes à moins de risquer sa tête 1 . Pour trouver des mines, il faut pénétrer dans la partie montagneuse et très peu accessible qui confine aux provinces chinoises.
Quant à l’or, il n’existe en quantité assez appréciable que sur les cartes chimériques de M. Dupuis; et, quant aux autres métaux, il faut avoir bien peu de connaissance de l’état actuel du marché des métaux pour s’imaginer que les mines au Tonkin, si riches qu’on puisse supposer leurs filons, soient exploitables utilement. Jamais le fer et le cuivre n’ont été à si bas prix. Le plomb est plus déprécié encore; si bien que les mines d’Angleterre, d’Espagne et d’Amérique, situées au centre même des marchés de consommation, font aujourd’hui de mauvaises affaires. Il est vraiment désolant de penser que c’est pour une pareille chimère qu’on épuise les forces de la France et son crédit.
1. Voici en quels termes un des journaux de Ferry, l’indépendant , de Bar-le-Duc, parle de ces mines :
« L’or est tellement abondant que, dans certaines régions, on élève les canards uniquement pour ramasser dans leurs excréments, devenus un précieux guano, for qu’ils ont avalé en barbotant dans les ruisseaux. »
Cela ne fait-il pas songer à la conversation du Gascon et du Marseillais?
— J’ai laissé tomber une allumette dans mon champ; l’année suivante, j’y ai trouvé une forêt
— Té! Begasse! la belle affaire, répond l’enfant de la Cannebière; à Marseille, vous perdez un bouton de culotte ; huit jours après, vous retrouvez un pantalon tout fait.