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LA FRANCE JUIVE
Les masses semblent, ce jour-là, avoir été désarmées par le dégoût. C’est dans ces heures nerveuses, où tout le mouvement de la cité est sur le Forum; où journalistes, compositeurs, mécaniciens, brocheuses, marchandes de journaux, causent pêle-mêle au milieu des imprimeries, que l’on voit combien le peuple a conservé de beaux côtés. 11 a l’intuition soudaine des vraies responsabilités. Les ouvriers n'avaient pas lu le Times, qui constatait que c’étaient les Rothschild qui s’étaient chargés de l’emprunt chinois et avaient fourni ainsi des armes contre nous. Spontanément, cependant, des groupes se forment dès onze heures du matin, à l’angle de la rue Laffitte et de la rue Lafayette. On s’indigne, on discute bruyamment, on crie: « Chez Rothschild! chez Rothschild! »
« Heureusement, dit le Gaulois, d’autres personnes interviennent et dissuadent la foule de mettre ce projet à exécution. »
Sans partager l’opinion du journal juif, il faut noter cette manifestation presque instinctive qui est comme le cri de la conscience publique, un moment lucide, et que les journaux endorment bien vite.
Quel foyer de patriotisme existe encore chez ce peuple qui ne lit que des journaux où l’on déclare que la Patrie n’est qu’un vain mot ! Comme ces prolétaires communient vraiment par la pensée avec nos infortunés soldats perdus à des milliers de lieues de la France, entourés de hordes innombrables, noyés dans des flots do barbares! De quelle voix poignante on interroge les journalistes qu’on s’imagine savoir quelque chose ! Je vois encore, avec ses taches de rousseur et ses yeux gris, bons et tristes, une humble ouvrière, un de ces êtres souffreteux, mal vêtus, battus par le mari, mangeant à peine pour donner leur part aux enfants. De quel accent plein d’angoisse elle disait : « On a abandonné le trésor de l’armée, quel malheurl Savez-vous au moins si l’on a sauvé les drapeaux? »
Le trésor de l’armée ! Qu’est-ce que cela pouvait lui faire à cette pauvre femme, qui avait peut-être quarante sous dans son porte-monnaie crasseux pour passer la semaine, et notre cœur se serrait malgré tout, lorsqu’elle nous répétait.: « Savez-vous si l’on a sauvé les drapeaux? »
Nous reconnaissions la plébéienne du siège qui, par l’hiver rigoureux, claquant des dents, faisant la queue dès quatre heures du matin à la porte des boulangeries, et riant quand même sous la bise, raillait Bismarck et s’écriait : « Comme il doit enrager de voir Paris se défendre comme cela! »
Les drapeaux! Ce qu’on appelle la haute société s’en moquait pas mal. Une véritable fièvre de fêtes et de bals coïncida avec la nouvelle des malheurs qui frappaient la Patrie.