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LA FRANCE JUIVE
d’un Taine? Assurément non. Malgré ses roueries et ses finesses, cet être est trop giossier pour ne pas être relativement aisé à saisir. Il faut seulement bien voir les deux éléments dont il se compose : c’est un Juif et c’est un Empereur; un Juif modernisé, croisé et métissé tant que vous voudrez, un tempérament d’Empereur de l’ordre le plus vil et le plus bas, je vous l’accorde, mais enfin c’est l’un et l’autre.
Quand Rome eut conquis le monde, le monde conquit Rome. Rome eut successivement des Empereurs espagnols et des Empereurs africains; elle eut des Empereurs gaulois qui mangeaient un bœuf à leur souper, et des Empereurs thraces qui abattaient d’un coup de poing les chefs de cohortes qui déplaisaient. Elle eut un Empereur syrien, l’Héliogabale do seize ans, qui, constamment vêtu en femme, les bras chargés de bracelets, présidait, dans sa longue robe traînante à la phénicienne, au mariage de la Pierre Noire avec la Lune. Quoique le fils de Sœmias fût circoncis, Rome n'eut point d’Empereur juif. Gambetta fut un instant cet Empereur. Ce n’est point un César déclassé précisément, c’est un César oublié qui avait manqué son entrée et qui a repris son tour dans le hasard d’un interrègne.
Pour le bien comprendre, il faut se figurer une manière de Rarabbas, Barabbas gracié, devenu préfet du Prétoire un beau matin, au milieu d’une bagarre, et se faisant adjuger la pourpre à force de bagout.
Cette sorte de réapparition tardive d’un type lointain est curieuse et vaut la peine qu’on examine bien l’évolution du personnage.
La foudre ne gronde pas autour de ce berceau le jour de la naissance, mais l’origine est intéressante. Gambetta ne naît pas de parents étrangers, car, somme toute, être étranger dans un pays, c’est avoir une Patrie quelque part: il a pour générateurs (les forains. A la suite du remuement des peuples par la Révolution française, certains Juifs, ainsi que nous l’avons expliqué, se mirent à parcourir l’Europe, cherchant çà et là où s’établir. Un Juif wurtembergeois, A. Gamberlé, se fixa à Gênes au temps du blocus continental, fit le commerce des cafés et la contrebande, épousa une Juive du pays dont un des parents avait été pondu, et italianisa alors son nom, en s’appelant Gambetta *. Le fils ou le petit-fils vint en France, s’établit
1. Voir à ce sujet un étrange volume dont nous avons déjà parlé, le Judaïsme en France, publié à Stuttgard en 1872, — ouvrage presque introuvable, les Juifs en ayant fait disparaître tous les exemplaires, — qui contient de très curieux renseignements sur le mouvement juif en France, et particulièrement sur le rôle joué par Mgr Rauer.
Les Archives israélites nous ont conservé un joli mot du prince de Bismarck à propos de Gambetta. » Je m’étonne, disait le Chancelier à son passage à Berlin en 1880, que les Juifs du Conseil municipal de Berlin n'aient pas encore nommé ciloyen honoraire de Berlin