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LA FRANCE JUIVE
lundi 19 janvier 1860, à deux heures, par M. Leon Gambetta, né à Cahors (Lot), le 11 avril 1838. » Or, l’acte de naissance qui a été publié porte que Léon-Michel Gambetta est né le 3 avril 1838, à huit heures du matin.
A Paris, quoi qu’on en ait dit, le futur dictateur ne lit pas plus d’effet que beaucoup de médiocres qui s’agitent beaucoup sans qu’on les regarde. Il n’exerça point sur ses contemporains l’ascendant grave qu’ont exercé, tout jeunes, certains hommes. Membre d’un petit groupe, dont faisaient partie Hébrard, Dépret et quelques autres, et qui se réunissait chaque semaine chez Brébant, il fatiguait plus ses amis, me racontait l’un deux, de son assourdissant tapage, qu’il ne frappait par son éloquence. « Tais- toi, gueulard! » était le mot habituel dont on se servait avec lui, ce qui n’implique, on l’avouera, aucune espèce de prestige chez celui qu’on rappelait ainsi à l’ordre.
C’est des fenêtres d’un cabinet de Brébant où le cénacle s’était donné rendez-vous pour la circonstance, que Gambetta vit passer ce convoi du duc de Morny, qui se déroule dans le Nabab comme un défilé du monde impérial. Nul ne soupçonnait à coup sûr que le braillard occuperait le palais du grand seigneur qui, du moins, cachait, sous des grâces de patricien, une absence de sens moral moins complète, certainement, que celle de son successeur; nul ne prévoyait que, dix-sept ans après, le bruyant décla- mateur d’alors aurait des funérailles presque aussi solennelles que celles de l’homme d’État-dandy, qui avait attelé au char brillant de sa fortune la politique de l’amour et l’amour de la politique.
Peut-être la vision du Palais-Bourbon hantait-elle déjà l’obscur avocat?
L’obsession exercée par Morny sur les gens qui étaient .jeunes en 1852 a été très vive, et Alphonse Daudet a bien traduit cette impression Homme de main, homme du monde, homme de Bourse, connaisseur d’art, ce voluptueux sans scrupules fut un idéal pour beaucoup d’hommes de cette génération fermés à tout sentiment supérieur.
Chacun prit de ce rôle complexe ce qu’il en put supporter et le joua avec tous les moyens dont il disposait.
L’homme de proie s’incarna dans Raoul Rigault qui, très probablement, lorsqu’il passait sa soirée aux Délassements, le jour où commençait la bataille des rues, pensait au Morny de l’Opéra-Gomique.
Il y a une réminiscence et comme une charge de Morny-Mécènes dans Proust, organisant des loteries et maquignonnant des œuvres d’art, qui apparaît, dans un portrait de Manet digne en tous points de l’original, sanglé dans une redingote indescriptible.