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LA FRANCE JUIVE
Crémieux, en effet, avait une qualité maîtresse; on aurait pu lui appliquer la parole de Bismarck : « La vraie politique, comme les alïaires privées, se fait autant avec la connaissance du caractère des gens qu’avec celle de leurs intérêts. » Il était convaincu qu’avec les Français on pouvait tout oser et qu’ils subiraient tout docilement.
Un jour que je causais des décrets avec Dumas, il me dit simplement : « Les catholiques sont des lâches ! » Quelques jours après, mon collaborateur à la Liberté, Joseph Cohen, qui a publié deux ouvrages d’une réelle valeur : les Déicides et les Pharisiens, me répétait : « Les catholiques sont des lâches!... Si on avait voulu nous faire ce qu’on vous fait, nous nous serions tous couchés devant les chapelles, et la troupe n’aurait pas osé avancer. »
Les catholiques subissent tout. Ceux qui le peuvent sauvent leurs enfants, mais ils laissent tranquillement dépraver les autres enfants, sous leurs yeux, sans oser même refuser l’argent qu'on leur demande pour cette œuvre néfaste.
Crémieux avait la claire notion de l’affaiblissement de l’énergie et de l’intelligence nationales. Il était certain qu’avec quelques mots on peut jouer du Français actuel comme on veut. La confiance naïve qu’eut le peuple dans cet homme est absolument inouïe. Au 2 Décembre, les ouvriers, persuadés que ce démocrate pour rire les aimait vraiment, vinrent le chercher pour le mettre à leur tête. Crémieux qui, avec Fould et tous les Juifs, était alors avec l’Empire, fut naturellement fort embarrassé. Mais c’est à M. de Maupas qu’il faiit emprunter le récit de cette anecdote piquante :
Dans la matinée du 2 Décembre 1 , je recevais la visite d’une fort aimable femme dont le mari, avocat célèbre et montagnard par occasion, n’avait pas été arrêté. C’est contre cette omission que venait protester M mc G... « Je suis au désespoir, me dit-elle; ma maison est envahie par les plus sinistres ligures. Une nuée de bandits demande à mon mari de se mettre à la tête de la résistance, de provoquer une émeute; il leur prêche encore la patience, mais il sera forcé de céder à leurs obsessions; ils le mèneront aux barricades et le feront tuer. Il n’y a qu’un moyen pour moi de retrouver un peu de tranquillité, de sauver les jours de mon mari, et ce moyen, vous seul en disposez, monsieur le préfet. » Et comme je semblais m’interroger pour savoir à quel genre de service M mo C... voulait faire appel, elle ajoutait : « Oli ! c’est bien simple, monsieur le préfet, faites-le arrêter. Je sais bien que vous ne lui ferez aucun mal, et ses abominables amis ne pourront au moins aller le chercher à Mazas. »
1. Mémoires sur le second Em/nre.