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CRÉMIEUX ET L’ALLIANCE ISRAÉLITE UNIVERSELLE
Mais le montagnard pacifique n’avait rien fait encore, à cette heure, pour motiver les rigueurs si ingénieusement rêvées par M me C... dans un excès de dévouement conjugal. Je ne voulus point recourir au moyen héroïque qui m’était demandé. Je promis seulement à ma visiteuse de faire surveiller de près son mari. Je lui tins parole, et je pus constater, ce dont je n’avais jamais douté, que les discours les plus menaçants n’étaient souvent qu’une dette payée à de trop exigeants amis, et qu’au jour du danger on laissait la besogne épineuse aux niais et aux écervelés du parti, à ceux dont le métier est de se faire tuer pour le plus grand profit de quelques ambitieux.
Notre avocat républicain resta dans les saines et traditionnelles doctrines de l’aristocratie révolutionnaire. Il s’enveloppa dans sa dignité de chef de parti, donna force conseils, ne recula devant aucune extrémité... dans ses paroles, s’épuisa plus encore qu’à la tribune en protestations d’amour pour la liberté, pour le peuple, pour la démocratie; mais il vint un moment où son ardeur de langage mit en émoi les agents chargés de le surveiller. Quelle ne fut pas ma surprise en recevant un rapport qui m'annonçait l’arrestation du fougueux montagnard! Mes agents l’avaient-ils pris au sérieux, ou plus heureuse près de mes subordonnés qu’elle ne l’avait ôté près de moi, M me C... avait-elle enfin obtenu d’eux qu’ils se prêtassent à ses prudentes sollicitudes? Elle put dormir en paix, elle vit enfin réaliser la faveur qu’elle sollicitait: son mari était sous les verrous *.
Il y a un tel côté cabotin dans le Juif, un tel mépris du public que Crémieux, dans le procès d’une dame Itonconi, qu’il plaidait devant la cour, raconta en détails ce qu’il avait enduré au coup d’Ëtat pour la cause de la liberté. Ce qui est tout à fait joli, c’est qu’il fit intervenir dans son discours M me Crémieux, se désespérant à la pensée de ce que souffrait son malheureux mari plongé au fond d’un cachot. — « M. Crémieux, dit à ce sujette compère Frédéric Thomas dans ses Petites causes célébrés, a hérité du privilège de Montaigne qui savait parler de lui sans offusquer personne. » — M. de Maupas a dû bien rire.
Le mountebank de Gordon n’est-il pas là bien complet? Cela n’empêcha pas le pays, lorsque le sol fut envahi, de prendre ce vieil avocat juif pour organiser la victoire.
Jamais le Juif, peut-être, ne s’affirma plus odieusement indifférent à tout ce qui touche à la Patrie, plus implacablement préoccupé de lui-même et de sa race, que dans les décrets rendus alors par Crémieux pour l’émancipation des Israélites algériens.
Le gouvernement de la Défense nationale, remarquons-le tout d’abord,
1. C’est le pendant de l'histoire de Lockroy allant se faire arrêter à Clamart, en 1871, pour échapper à ses amis de la Commune.