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LA FRANCE JUIVE
n’avait aucun droit à modifier le régime de l’Algérie ; en s’emparant du pouvoir il avait eu, par un reste de pudeur, le soin de déclarer qu’il ne le prenait que pour une tâche déterminée. Lorsqu’il remaniait profondément l’organisation algérienne, Grémieux commettait donc une usurpation dans une usurpation. Mais ces scrupules ne sont pas de ceux qui arrêtent un Juif, et Grémieux ne rendit pas moins de cinquame-deux décrets sur la colonie, en dehors, bien entendu, des nominations de fonctionnaires.
Crémieux ignorait-il davantage les troubles qu’il allait exciter dans une région où tout nous commandait le maintien du statu quo, pour ne point affaiblir encore notre malheureux pays impuissant à résister à l’ennemi qui le pressait de toutes parts? Il était, au contraire, admirablement informé de la situation, il connaissait l’hostilité qui régnait entre les Arabes et les Juifs 1 ; il avait été maintes fois plaider en Algérie et il avait été témoin de rixes survenues entre Musulmans et Israélites, à propos des fêtes religieuses. En profitant d’un pareil moment pour rendre le décret qui naturalisait les Juifs algériens, il trahissait done purement et simplement la France pour servir les intérêts de sa race.
En 1870, cette mesure avait un caractère particulièrement odieux. Les Arabes avaient fait héroïquement, leur devoir pendant la guerre. Ces « diables noirs, » comme les appelaient les Prussiens, qui bondissaient sous la mitraille, avaient émerveillé l’ennemi à Wissembourget à Wœrth, Albert Duruy, qui, pour, aller de suite au feu,:s’était engagé parmi;ces tirailleurs algériens, m’a raconté maintes fois l’effet presque fantastique qu’ils produisaient avec leurs cris sauvages, leur joie en entendant parler la poudre, s leur façon de se mer en avant comme des tigres. Pour ce camarade, qu’ils nommaient « le fils du vizir, » ces farouches avaient à à la fois du respect et de l’affection. Quand, à Wissembourg, les tirailleurs dispersés, genoux à terre, dans les houblonnières, reçurent l’ordre de, tenir jusqu’au dernier moment pour protéger la retraite, Duruy baissa involontairement la tête sous la grêle de balles. Tout à coup, il sent une main de fer qui s’abat sur son épaule : « As pas pour! As pas pour! lui crié un Turco en montrant, comme pour rire au danger, ses dents blanches qui brillaient sur son visage cuivré. . ,, ,j! ' 1 i
On ne se fût étonné qu’à de.mi si le gouvernement de la Défense nationale eût accordé quelque récompense éclatante à ces Arabes héroïques qui
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1. Cetle haine était telle que Mérimée, que je soupçonne d'avoir été un peu judaïsantet qui, en tous cas, n’avait jamais été baptisé, raconte dans ses Lettres à Panizzi , que pour animer les turcos contre les Autrichiens pendant la campagne d’Italie, on n’avait eu qu’à leur dire que c’étaient des Juifs qu’ils avaient devant eux.