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LA FRANCE JUIVE
N’est-il pas encore d’une délicatesse exquise ce fait que raconte Renan dans ses Souvenirs d’enfance et cle jeunesse? Après la Révolution, les demoiselles nobles pensionnées à l’hospice de Treguier mettaient, le soir, des chaises devant la porte et devisaient dans cette tranquillité d’un jour finissant qui enveloppe les villes de province de je ne sais quelle poésie silencieuse. Quand elles voyaient arriver ceux qui s’étaient enrichis à leurs dépens, elles ôtaient leurs chaises et se retiraient à l’intérieur ou allaient prier à la chapelle, pour ne pas faire rougir ces richards, pour ne pas fairç éprouver un sentiment de honte à ces voleurs légaux.
On a cité cent fois ce mot imbécile et charmant de Charles X. au moment de signer une nomination à une recette générale :
— Je dois prévenir Votre Majesté que c’est le fils d’un régicide :
-- On ne choisit pas son père.
11 est vrai que la place qu’il accordait au fils d’un régicide, le roi l’aurait refusée au fils d’un chouan qui serait mort pour sa cause. L’oubli des services rendus, chez les Bourbons et chez tous ceux qui appartiennent à ce parti, a toujours été égal à l’oubli îles offenses. Dans ces têtes légères, rien ne laisse d’impression profonde, et la douceur native reprend vite le dessus. « Brillants oiseaux à l’élégant plumage », dit le poète grec en parlant des Alcméonides.
Qu’est donc l’inoffensive Terreur blanche à côté de cette Terreur rouge , qui, d’après Berriat Saint-Prix, fit trente mille victimes?
En dehors de quelques personnalités éclatantes, commeMontalembert, le duc de Broglie, le comte de Mun, le cerveau de l’aristocrate est d'ordinaire très faiblement organisé. Il y a plus d’énergie intellectuelle, de volonté, de ténacité dans les desseins chez le dernier Juif de Gallicie, que dans tout le Jockey-Club. Sur tous les membres des grands cercles, vous n’en trouveriez pas dix qui aient lu Joseph de Maistre ; tous les contremaîtres, la plupart des ouvriers de Paris , ont lu et étudié Karl Marx. Dans le logement de ces jeunes artisans, qui n’ont pour s’instruire que la soirée après une journée de fatigue, vous trouverez un commencement de bibliothèque, des volumes lus, relus, annotés; la noblesse achète des livres, il est vrai, mais elle ne les lit presque jamais.
Cette absence de toute culture intellectuelle sérieuse enlève à l’aristocratie la notion de son rôle supérieur dans la société.
Toute aristocratie, a dit Blanc de Saint-Bonnet, qui laisse monter vers elle l’esprit d’en bas est troublée par l’alliage. Il ne faut pas qu’elle prenne du peuple et se fasse commune; il faut quelle donne d’elle au peuple et le fasse noble '.
I. I>e lu Restauration française.