583
Tout Paris a vu, pendant de longues années, un ancien ministre de l’intérieur, un vice-président de la Chambre, tenir publiquement un véritable tripot, un Cercle ouvert à tous : Le Cercle artistique de la Seine , qu’on appelait familièrement le Cercle Lepère. Dans tous les hôtels où descendent les riches étrangers, dans tous les grands cafés du boulevard, on distribuait des invitations à venir dîner et faire la partie, et ces invitations étaient signées du vice-président d’une Assemblée française) Jamais les membres de la gauche n’ont pensé que la dignité du pays fût atteinte par 1 ce singulier cumul ; ils trouvaient que ce teneur de brelan était encore le plus honorable d’entre eux, puisqu’ils l’avaient appelé à la vice-présidence. Dans l’histoire même du Directoire , je ne connais pas de fait analogue h
On ne saurait trop, néanmoins, encourager le gouvernement à récompenser de préférence ses fidèles par des permissions de tripot que par des fournitures. En ce dernier cas, c’est la sécurité même de la France que compromet le bon plaisir ministériel.
La discussion du 28 février 1881, sur les fournitures accordées aux industriels de Besançon , suffit à montrer comment les choses se passent pour les adjudications. M. Georges Perin, avec un patriotisme et une clairvoyance qui surprennent chez un républicain, émit cette idée qui frappa la Chambre d’étonnement, que généralement les places frontières étaient les premières assiégées en temps de guerre, et que les magasins et les ateliers d’habillement nécessaires à l’armée étaient plus convenablement installés à l’intérieur. Si les fournitures avaient été maintenues à
les carrières d’Amérique. M. Andrieux a raconté, dans ses Souvenirs, que la première personne qu’un commissaire de police, envoyé par lui, rencontra dans un Cercle autorisé, fut un repris de justice endormi sur une banquette. « Ne sachant où trouver un abri, cette victime de la justice humaine était venue chercher, dans les salons de jeu, un gîte hospitalier. Le Cercle était d’ailleurs présidé par un député. »
1. Le gérant de ce Cercle était un Juif nommé Landau, uu personnage à aventures bruyantes, comme tous ceux de sa race, qui se suicida après des pertes d’argent et des peines de cœur que les journaux boulevardiers racontèrent tout au long. Il fut remplacé par deux autres Juifs, les frères Khan, autrefois directeurs du Cercle de Paris , rue Laifitte.
Un député radical de Seine-et-Oise , ancien avocat général, M. Vergoin, prit la succession de Lepère, comme président. Il n'avait d’autre but, déclara-t-il ingénument « que de se faire de belles relations. » La première rencontre qu'il fit, dans cet endroit distingué, fut celle d'un gentleman qui lui confia que les croupiers venaient de lui proposer de lui remettre un certain nombre de portées toutes préparées, des biscuits comme on dit, qui lui auraient permis de prendre la banque à coup sûr. M. Vergoin craignit sans doute que les relations qu’il se ferait là ne fussent un peu mêlées et donna sa démission. Remarquez encore une fois au point de vue du chemin parcouru depuis 1870, de l’accoutumance, que le fait pour un représentant du peuple d'accepter la présidence d’un tripot ne choque personne ; cela paraît tout naturel.