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LA EKANCE JUIVE
Fait de fragments dérochés, bordé des deux côtés par des blocs de granit couverts de mousse, sur lesquels une eau jaillie, d'une source invisible, retombe éternellement en fraîches cascades; c’est comme une forêt montante où s’épanouit, dans une chaleur douce, toute la flore des pays enchantés, où les palmiers qui semblent naître de chaque anfractuosité, projettent vers le ciel, à de vertigineuses hauteurs, leurs longues lances de vert sombre, parmi les reflets clairs des lumières semées dans le feuillage. 11 tourne, tourne, l’escalier, et, dans son évolution grandiose, aboutit enfin à la serre — le clou de ce fantastique décor — qui, par sa situation et ses proportions babyloniennes, fait songer aux jardins suspendus de Sémiramis. Une illumination radieuse y donne l’illusion du soleil tropical, et la végétation luxuriante qui s’y étale, celle des eldorados transocéaniques. Et c’est miracle de voir, dans les étroits sentiers aux bordures fleuries, qui se croisent et s’entre-croisent, circuler les groupes extasiés, resplendir les épaules nues, étinceler les perles et les diamants, la soie se mêler aux floraisons verdoyantes, et tous ces étincellements se confondre en une sorte de kaléidoscope vaporeux où il n’y a plus ni femmes, ni fleurs, ni satins, ni verdure, plus rien que la grande symphonie des couleurs et l'âpre griserie des parfums 1
Le Figaro a raison : « Fuyons ce paradis troublant 1 arrachons-nousàce rêve d’opium ! » pour nous réfugier dans la chapelle. 11 y a une chapelle, en effet, et l’on regretterait qu’elle n’y fût pas; elle rappelle une certaine religion qui est à la mode. Les La Rochefoucauld y vont gémir sur la persécution, avant d’entrer dans le bal, quand les Hirsch ne sont pas encore arrivés. Leur Dieu n’exclut point les plaisirs de la danse, même au temps de Dioclétien ; il est un peu parent de celui de Béranger.
üii est admis dans son empire Sous la couronne du martyre Et sous la couronne de fleurs.
Confesseurs delà foi et martyrs, beaucoup de grands seigneurs le sont « parmi ces privilégiés qui, de dix heures du soir à quatre heures du matin ont dansé,.causé, soupé, puis redansé, recausé, resoupé, et qui, vaillants au plaisir, n’ont capitulé qu’avec l'aurore. » Ils espèrent bien figurer un jour dans les vitraux; seulement les instruments de supplice, que les saints portent à leur main dans les naïves images de l’art gothique, seront remplacés cette fois par un accessoire de cotillon.
Si vous voulez voir combien la destinée d’un journaliste chrétien est différente de celle d’un journaliste juif , regardez les hommes qui entourent Meyer. Allez au Gaulois, vous trouverez, à côté du Meyer blafard, un beau cavalier, un gentilhomme béarnais qui a ressemblé un peu à Henri IV .