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LA FRANCE JUIVE
Quand il l’agit d’un Juif ou d'une Juive, en effet, les conditions ordinaires de la morale sont changées. Vous avez vu Wolff battre la caisse sur le corps d’une pauvre comédienne des Variétés; Meyer ne veut point se laisser distancer. Rachel a eu des bâtards : il en est question, en 1883, dans un procès intenté par M me * Lia et Dinah Félix aux héritiers de Sarah. Ce sont de ces faiblesses excusables dans la vie d’une artiste, et semblables, après tout, à celles que les débats des tribunaux relèvent chaque jour. Le Gaulois n’entend pas de cette oreille-là; il vous démontre, en trois colonnes, que ces bâtards sont des amours de bâtards, des bâtards comme on n’en l'ait plus, des bâtards comme on n’en avait jamais fait avant Rachel, et là-dessus apothéose obligatoire de la race incomparable.
Quoique j’aie déjà effleuré ce point plus d’une fois dans le cours de cette étude, je ne crains pas d’y revenir, car il est essentiel. Le Chrétien est toujours en train de rougir de quelqu’un ou de renier quelque chose, de dire à son frère embarrassé : Nescio vos. Le Juif est absolument fermé à tout sentiment bête de ridicule ou de fausse pudeur; il méprise profondément l’opinion, peut-être parce qu’il sait comment on la crée.
Prenez un exemple dans un autre ordre. Il s’agit ici, je le déclare d’un femme parfaitement respectable; elle s’appelait Agathina, et elle était modiste. Supposez un Chrétien ayant une femme exerçant la profession de modiste et portant le nom d’Agathina, il ne s’en vantera pas. Notre confrère Alexandre Weill n’est point de cet avis ; il publie un poème intitulé : Agathina, ma femme; et il déclare que rien n’a été aussi spirituel, aussi séduisant, aussi modeste que cette modiste :
Oh! mon Agathina! je t’invoque à genoux!
Lève-toi dans ta tombe et, tout debout, dis-nous, Toi qui fus chaste et pure et dont le moindre verbe Fut toujours si loyal et parfois si superbe,
Dis-nous ce que tu fus, dès l’âge de vingt ans?... La vertu réunie aux labeurs incessants.
Tu portes sur ton front un nimbe, une auréole,
Dont le charme opéra jusque dans ta parole ;
La première au travail, la dernière au repos,
envoyait un petit chef-d’œuvre de grâce et d’esprit que Rachel n’avait qu’à recopier. N’est- ce pas gentil, cet avocat occupé sans relâche, dont le cabinet est envahi depuis le matin jusqu’au soir, et qui trouve le temps de rendre d’une maniéré assidue un service, subalterne en apparence, mais qui a, à ses yeux, l’avantage de grandir une coreligionnaire? Citez-moi donc un catholique qui en ferait autant? En revanche, Rachel aurait appris, dans le lit d’un prince ou d'un homme d’État, une nouvelle intéressante pour la politique européenne, qu’elle en aurait immédiatement prévenu Crémieux. Voilà comment les Juifs sont toujours admirablement informés ; ils s’aident entre eux.