667
faute de la République , je dois constater qu’il y a une quantité de banqueroutes. Les meilleures maisons de commerce sont fermées ou en liquidation; les théâtres, à peu d’exceptions près, font de mauvaises affaires; les trottoirs bitumés sont en plus mauvais état qu’à Londres , grâce à notre administration de paroisse.
Toutes les classes sont sous l’empire d’un malaise. Les seules personnes convenablement mises sont les Anglaises et les Américaines . Paris est in extremis. Je ferme les yeux, pour réveiller en moi l’image des temps d’autrefois, des étalages splendides des magasins, des rues éclairées à jour, des femmes élégantes, des équipages magnifiques, des uniformes brillants, le bruit et le mouvement d’une ville en habit de dimanche continuel. Je rouvre les yeux, et je trouve une population misérablement vêtue, des exhibitions pauvres d’articles démodés à Londres , et au-dessus de tout cela sous un ciel gris, on lit le mot : « Ichaboë » (île de la côte occidentale d’Afrique , fameuse par son guano).
La ville, où la vie jadis était si débordante, où les pavés eux-mêmes riaient aux passants, donne un peu la sensation de Munich . Au mélancolique et glacial München , il manque de la gloire, du mouvement pour remplir ce décor de palais, de temples érigés aux grands hommes absents, d’avenues magnifiques. Paris a eu cette gloire, il est plein de souvenirs d’héroïsme et de grâce, de légendes immortelles, de fantômes illustres, mais tout cela semble appartenir à un passé pour toujours aboli. Certaines régions ressemblent à des Pompéi et on se demande quelle catastrophe les a rendues tout à coup silencieuses et désolées. Ailleurs, l’activité est fébrile, mais avec une sorte d’inquiétude sombre qui persiste malgré tout.
Les hôtels du faubourg Saint-Germain gardent leurs volets fermés pendant dix mois de l’année. Presque tous les beaux hôtels du quartier des Champs-Elysées et du quartier Monceaux sont aux Juifs; parfois, par les fenêtres ouvertes, on entend dans la solitude les échos de quelque concert, c’est un Juif quelconque qui soigne sa névrose.
I.e livre si français , le livre qui fait penser, le livre qui tenait tant de place au xvii 0 siècle n’existe plus ; c’est la musique, art tout sensitif, art d’a- mollis et de maladifs, qui tient le premier rang. Après le crocodile, le Juif est le plus mélomane de tous les animaux. Tous les Juifs sont musiciens ou comédiens d’instinct. Camondo joue du violoncelle. M me Goldschmidt donne de superbes concerts « dans des salons qui sont en enfilade. » Entre deux morceaux, Bemberg, que la renommée d’Haydn empêche de dormir, prie M ra6 Isaac de chanter une petite romance. Le Clairon, lorsqu’il vivait, voulait bien nous apprendre que le programme cette fois est imprimé « sur une feuille de vélin couleur orange rongée par un volcan ! » « Quelle jolie décoration, que de chefs-d’œuvre! » s’écrie Meyer toujours ravi. « En péné-