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sonne, et la règle de saint Benoit recommande formellement de recevoir celui qui se présente pour demander un morceau de pain, comme s’il était le Sauveur lui-même. Au seuil du réfectoire des Bénédictins de Solesmes , on trouvait le Révérendissime abbé (à l’époque où j’y vins, c’était Dom Guéranger , chargé d’années et illustre entre tous par sa science), qui présentait 1 aiguière à 1 hôte et lui lavait les mains. D’innombrables récits du Moyen Age sont la mise en scène de cette idée. Un malheureux en haillons est assis sous le porche d’une église, et tend la main à l’aumône; soudain les humbles vêtements rayonnent, et l’on s’aperçoit que c’était le Christ qui était là.
En pareil cas, les catholiques d’aujourd’hui, M. de Mackau en tête, iraient-ils trouver le Franc-Maçon Gaubet et lui diraient-ils : « Get homme est pauvre, il n’a pas de domicile, il offusque notre vue, envoyez-le crever à la Guyane 1 ? »
Quatre catholiques seulement ont voté contre cette loi inique qui assimile la mendicité à un crime digne de la mort, ce sont : M»” Freppel, M. Paul de Gassagnac, M. Daynaud et M. de Mun.
Pour beaucoup, après tout, l’agonie sur une terre étrangère serait peut-être une délivrance. Les prolétaires sont acculés de plus en plus entre la mort par la faim et la révolution sociale. « Quand les hommes perdent de vue les nécessités morales, a dit le puissant penseur que nous avons déjà cité, Dieu fait sortir la lumière des nécessités d’un autre ordre. Si la Foi n’est plus enseignée par l’oreille, elle sera enseignée par la faim ! ! »
La révolution sociale a un caractère presque fatal. Peut-être faut-il voir, dans la conviction qu’il a de cette situation, une des causes de l’hésitation du Comte de Paris . Il est, on le sait, un des trois ou quatre hommes d’Europe qui connaissent à fond la question ouvrière; il n’a pas, dans le principe qu’il représente, la foi qu’il faudrait pour entreprendre une restauration sociale qui seule sauverait la France , et, en même temps, il aperçoit,
1. Dans son numéro du 19 août 1885, la Lanterne juive annonçait, avec des fanfares de triomphe, qu’un moine franciscain arrêté à Briare venait d’être condamné à trois mois de prison par le tribunal de Gien . Si ce moine, comme il doit le faire pour être fidèle à son. tœu, continue à mendier pour les pauvres, il sera condamné de nouveau, et il pourra être envoyé à la Guyane . Est-ce là ce qu’ont voulu les catholiques de la Chambre? Assurément non. Seulement ils n’ont, pour la plupart, aucune idée personnelle; ils ont vu les journaux du boulevard s’indigner parce que les tilles coûtaient plus cher lorsqu elles avaient à nourrir des souteneurs, et ils se sont formé une opinion là-dessus.
2- B. Saint-Bonnet : La Restauration française.