La gauche, d’ailleurs, pénétrée d’admiration pour ce Poubelle qu’un dépouillement de scrutin resté fameux devait immortaliser plus tard, n’eut pas une parole de pitié pour les malheureux chiffonniers. Ce fut le duc de La Rochefoucauld-Bisaccia qui s’honora infiniment en prenant en mains la cause des infortunés qu’on condamnait à mourir de faim, et en la défendant devant des républicains repus qui, supputant d’avance la part qu’on leur ferait dans l’affaire, riaient aux éclats tandis qu’il parlait.
Les jeunes résistèrent comme ils purent. Les vieux se couchèrent dans leurs cahutes et y attendirent la mort. Le père Laplace, qui n’avait pas mangé depuis quarante heures, ce qui, quoi qu’en puisse penser Poubelle, est dur pour un vieillard de soixante-quatorze ans, s’éteignit comme une bougie sur laquelle on souffle, à une réunion de la salle Graffard *. Le père Gouri, chassé de son taudis de la cité des Bleuets, vendit ses loques pour payer ses dettes et alla se pendre dans un garni du boulevard de Believille. Une vieille femme écrivit à un journal radical pour demander à Poubelle « de la faire abattre. »
Gette haine du pauvre, du travailleur, qui est sans exemple dans l’his-' toire, prend toutes les formes. Les républicains au pouvoir semblent n’avoir qu’une préoccupation : rabattre le prolétaire sur le Juif pour que celui-ci en fasse sa proie plus aisément. Tout est bon au Juif, en effet; en dépouil-
« M m0 Kahn, fille de M. Alphand, habite au n° 24 de la rue de Bondy. Comme l’arbre masquait la vue de la place, cette dame ne trouva rien de mieux que de prier son père, M. Alphand, de le faire enlever.
« L’ordre en fut donné un samedi, et le dimanche matin cet ordre fut exécuté.
« La place de la République compte un arbre de moins ; sa régularité en est compromise : mais la fille de M. Alphand a satisfait son caprice.
« Citoyens, inclinez-vous et soldez la note. »
1. L’enterrement du vieil amant des ombres , victime de la rapacité des républicains, eut un caractère particulièrement touchant. Un chiffonnier poète, M. More, lut sur la tombe une pièce de vers naturellement incorrecte, mais dont certains passages étaient émouvants. Voici quelques-uns de ces vers, à titre de curiosité :
• Cet homme s'est éteint au milieu de vos peines ;
Pendant que rassemblés, honnêtes travailleurs,
Vous cherchiez à tarir la source de vos pleurs,
Le sang s’est glacé dans ses veines.
Ce fut un vieux lutteur ; comme vous il vécut
Sous le ciel noir, au sein des nuits froides et sombres,
Comme vous tous, il fut un vieil amant des ombres Que le labeur, hélas ! vaincut (?)
Salut à ce vieillard qui tomba haut la tête !
Sa mort jette en vos cœurs un lugubre frisson.
Puisse-t-elle arrêter l’effroyable tempête Qui monte au ciel à l’horizon !