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LA FRANCE JUIVE
à accepter ce douloureux honneur, à adresser au citoyen éminent et à l’ami dévoué notre suprême témoignage et notre dernier adieu, parce que je suis, de tous les membres de l’administration, son plus ancien collaborateur.
L’homme que nous accompagnons à l’endroit où l’on dort était de ceux qui ont pour cortège la douleur publique. La ville de Trévoux pleure en François Guillot un administrateur hors de pair; le Conseil général de l’Ain, l’un de ses membres les plus actifs et les plusémittenfs; la République, l’un de ses plus dévoués partisans.
On dit d'un soldat tué devant l’ennemi : mort au champ d’honneur; de celui qui est dans cette tombe nous pouvons dire: mort à la peine. C’est qu’à la vérité cette vie si bien remplie se résume en deux mots : travail, bienfaisance. Quel vide il laisse parmi nous! Quelle perte nous venons défaire! Quel est donc le « faucheur aveugle » qui porte ainsi la main sur le meilleur des nôtres? Où trouver un pareil dévouement aux intérêts de la démocratie?
Et cependant quel désintéressement dans l'accomplissement de cette tâche! Quelle noblesse dans les mobiles! Remplir son devoir fut son unique et constante préoccupation. C’est pourquoi je n’hésite pas à le proclamer : François Guillot fit toujours passer la chose publique avant l'intérêt personnel. Que de gens il a obligés! Que de services il a rendus! Les pauvres, les humbles, tous ceux qui souffraient, tous ceux qui avaient besoin d’un conseil ou recherchaient un appui ne frappèrent jamais en vain à sa porte. Lui n’ambitionnait que l’estime de ses concitoyens : cette estime eût été sa seule récompense, s’il n’eùt obtenu cette croix de la Légion d'honneur que je vois briller sur son cercueil.
Laissez-moi, à ce propos, vous dire un fait qui m’est personnel. C’était en 1878. J'étais depuis un an à la tête de cet arrondissement quand M. le Préfet de l’Ain me demanda de lui désigner le plus digne de recevoir l'étoile de l’honneur. J’eus la bonne fortune de jeter les yeux sur Guillot, alors que personne, jusqu’à ce jour, n’en avait eu l’idée, sans doute à cause de sa modestie. Quand j’appris que le décret qui le nommait chevalier de la Légion d’honneur était signé, je lui portai cette bonne nouvelle. Saisi d’une grande émotion, il me dit d’une voix entrecoupée par les sanglots : « Ai-je donc mérité la croix? » Et il me serra en pleurant dans ses bras. Le souvenir de cette scène, ai-je besoin de vous le dire, Messieurs, restera profondément gravé dans ma mémoire et dans mon cœur. Ah ! oui, pendant cinq ans, j’ai entretenu commerce avec cet excellent homme, et, durant cette période de cinq années, pas le moindre dissentiment n’est venu troubler le charme de nos relations. C’est donc à moi, à moi surtout, qui ai vécu dans son intimité qu’il a été donné d’apprécier combien était grande la noblesse de son âme et combien grande la bonté de son cœur.
Quant à vous, Messieurs, qui entourez cette tombe, vous qui êtes accourus des extrémités du département pour apporter votre dernier témoignage de sympathie à celui que vous aviez en si haute estime, vous avez raisor. de verser des larmes. De longtemps vous n’aurez à pleurer un pareil homme de bien : car si François Guillot eût vécu dans l’antiquité, la Grèce l'aurait mis au rang de ses Sages.
Adieu, cher ami ! adieu, Guillot !
M. Ducher, conseiller général, eut l’oraison funèbre presque aussi éloquente :