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LA FRANCE JUIVE
Ils s’advisèrent, dit Amelot des Houssayes, d’exposer les habits et le reste de cet enfant à laquelle tenoit encore partie du col et des costes, dans un bois éloigné d’un quart de lieue du village de Glatigni, et afin qu’on pût le découvrir plus aisément, ils étendirent sa chemise sur un buisson de la hauteur de trois pieds. Ensuite ils s’adressèrent à plusieurs personnes, et de la ville et de la campagne, pour les obliger d’aller chercher dans le bois, leur disant que s’ils pouvoient trouver quelque reste de cet enfant, ils les reconnoîstroient de sommes considérables.
Une femme du village de Ratonsai, qui n’est pas beaucoup éloigné de celuy de Glatigni, a déposé, dans l’information faite au Parlement, que trois Juifs de Metz , qu’elle ne connaissoit point par leurs noms, s’adressèrent à ■elle poui sçavoir ce que l’on disoit de l’enfant enlevé. Et sur ce qu’elle leur répondit que s’il estoit vray que cet enfant eust esté mangé des bestes, ils dévoient faire chercher dans le bois, qu’on y trouveroit encore quelques petits restes de ses hardes, l’un des Juifs adjouta qu’on pourroit bien aussi y trouver la teste.
En effet, peu de jours après, sçavoir le vingt-sixiesme septembre 1669, quatre porchers, qui gardoient leurs troupeaux dans le mesme bois, trouvèrent la teste d’un enfant avec le col et partie des costes, deux petites robes l’une dans l’autre, un bas de laine, un bonnet rouge, et une petite chemise étendue sur un buisson, le tout sans estre déchiré, ny ensanglanté.
Sur l’advis qu’ils en donnèrent au père de l’enfant et luy au procureur général, le Parlement commit à leur réquisitoire un conseiller qui se transporta sur les lieux, et qui dressa procez verbal de l’estât du lieu où l’enfant avoit esté perdu, et de celuy où l’on avoit trouvé une teste et des habits d’enfant, lesquels habits le père reconnut, en présence du conseiller, pour ceux dont son enfant estoit vestu le jour qu’il fut enlevé. A l’égard de l’enfant, il ne put estre reconnu à l’aspect de cette teste, parce que le visage en estoit défiguré, quoy que les chairs parussent assez fraîches et sanguinolentes, selon qu’il est porté par le mesme procez verbal qui en contient la levée.
Dans le mesme temps les porchers furent ouïs, qui déposèrent avoir trouvé les choses exposées de la manière qu’elles ont esté dites cy dessus, et l’un deux adjousta qu’il n’estoit pas possible que cet enfant eust esté dévoré par les bestes : car, outre que les habits n’estoient point déchirez ny ensanglantez, il avoit remarqué que lorsque les bestes féroces ravissoient quelques brebis ou autre animal domestique, ils en mangeoient toujours la teste la première.
Cette manœuvre, qui pouvait réussir et qui a réussi dans un pays comme l’Autriche , oùles Juifs sont tout-puissants, n’avait guère de chance de succès dans un pays comme la France du xvn« siècle, où les Parlements, jouissant d’une indépendance absolue, jugeaient dans la sérénité de leur conscience et sans obéir aux influences extérieures *.
1. M. Emmanuel Michel, conseiller à la Cour royale de Metz , auteur d'un livre excellent, Histoire du Parlement de Metz, constate que si les magistrats lorrains éprouvaient le mépris général alors pour les Juifs, il ne se départissaient pas vis-à-vis d’eux de leur devoir d’impartialité. « En 1660, écrit-il, un Juif avait été tué par un soldat. C’est sur les instances de la cour que le coupable fut poursuivi. Il avait été arrêté, mais le commandant de la place