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LA FRANCE JUIVE
qu’il avait pour ses petits-enfants. Quelle douleur ce dut être pour le poète de voir ce vilain moineau installé ainsi dans le nid de l'aigle ! Qui saurait exprimer l’intensité du regard plein d’une hostilité sourde que le vieillard, d’une si magnifique bonhomie envers tous, lançait parfois sur Lockroy imperturbablement assis dans son rôle de père nourricier, immobile dans une posture à la fois arrogante et très basse? Toute l’horreur de cette vie commune se lisait dans ce regard.
Que se passa-t-il au lit de mort? On ne le saura jamais exactement. Les dernières heures de ce souverain de l’intelligence furent entourées d’autant de mystère que celles d’un souverain de droit divin.
Le fameux testament, publié avant les funérailles, ne me paraît pas de la main de Victor Hugo .
Louis XIV avait pour secrétaire de la main le président de la Cour des comptes, Toussaint Rose . Rose, qui fut membre de l’Académie en remplacement du silencieux Conrart , avait la même écriture que le roi et il écrivait les lettres qui, d’après l’étiquette, devaient être autographes. Personne n'ignore dans le monde littéraire que M. Richard Lesclide remplissait les mêmes fonctions près de Victor Hugo , et que les autographes authentiques du maître sont excessivement rares pour la dernière période de sa vie. Victor Hugo , évidemment, n’aurait pas suffi à son écrasant labeur, s’il lui avait fallu écrire cinquante lettres par jour pour annoncer aux gens «qu’ils avaient le Verbe en eux », et qu’il « pressait cordialement leurs mains loyales ».
Ce Lesclide , aposté dans la maison par Lockroy, était un Juif de Bor deaux , un Juif de l’espèce gaie qui pintait vigoureusement au dîner, mais qui n’était pas désagréable.
Ainsi entouré, Victor Hugo n’avait plus guère le moyen de manifester une opinion libre. Il est moralement certain pour moi qu’il a demandé un prêtre et bien des témoignages matériels tendraient à confirmer cette conviction. On a entendu Vulpian affirmer positivement ce fait dans un salon. Vulpian, sans doute, a démenti par écrit ce qu’il avait dit de vive voix, mais sa lettre sue le mensonge et la peur. Il est démontré, en tout cas, que Lockroy a intercepté la lettre remplie d’une si évangélique charité de l’archevêque de Paris , et qu’elle n’a pas été remise au malade.
Ce qu’il faut toujours regarder, c’est le ton que prennent ces gens-là dans ces questions. Je ne songerai jamais à m’étonner qu’un Israélite fasse demander un rabbin pour le consoler à ses derniers moments; j’ajoute même que, s’il m’en priait, j’irais le chercher moi-même et que