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LA FRANCE JUIVE
soucieux de ne pas se faire d’ennemis, n’osent pas dire. Complétez le tout par le livre que quelqu’un, sans nul doute, est en train de préparer dans un coin et qui contiendra ce que je n’ai pas voulu dire : les détails intimes, que chacun se raconte à l’oreille, les révélations sur les tripotages secrets, sur la vie privée, sur les dessous honteux de ce gouvernement. Et si la capitale disparaît dans un formidable cataclysme, vous aurez les matériaux suffisants pour reconstituer la ville géante qui, hier, s’appelait la cité-reine, et qui, demain, sera la cité mendiante, la cité iécouronnée, déshonorée, désespérée.
Du Camp vous donne dans son livre froid comme les pierres, dans ce livre d’une littérature tout édilitaire, le décor admirable et pompeux, le cadre monumental et grandiose de la ville impériale; mais, dans cette œuvre faite presque exclusivement avec des documents officiels, le mouvement et la vie n’existent pas. Dans Ignotus, vous trouverez peint au naturel, ad vivum, le monde bizarre qui s’est installé impudemment dans cette ruine toute neuve d’un monde écroulé, comme les bohémiens s’installent deux ou trois fois l’an dans le jardin des Tuileries , pendant leurs loques aux statues des consulaires, rapiéçant leur chaussure trouée au pied des déesses de marbre, allumant les réchauds de leur nauséabonde cuisine sous les arbres augustes que nos rois avaient plantés pour verser la fraîcheur et l’ombrage aux passants.
Assidu du Palais et avocat lui-même, quoiqu’il n’ait que peu plaidé, Ignotus décompose très bien la façon dont fonctionne la persécution judiciaire. Il explique fort lucidement comment l’innocent est condamné d’avance, même avec une sorte d’apparence de justice, dès que le magistrat Franc-Maçon est d’accord avec ceux qui ont organisé une affaire, soit dans un intérêt électoral, soit dans un but de chantage.
Les études sur le huis-clos, le secret, les attentats à la pudeur sont d’un penseur et d’un légiste :
L’enfant, dit très bien l’écrivain, n’a pas conscience fort nette de la réalité des choses. De même que le bébé naissant étend le bras pour toucher les l’objets les plus éloignés, — de même l’enfant ne distingue que peu à peu la matérialité des actes. Il les confond, présents ou passés. Il ne met pas une grande différence entre ce qu’il a vu ou entendu. Parfois il croit avoir entendu ce qu'il a vu, — et vu ce qu’il a entendu.
Un criminaliste, M. Forster, m’a dit qu’à Londres , il avait, devant plusieurs médecins témoins, persuadé peu à peu à une petite fille qu’elle avait mangé un bonbon une heure auparavant, alors qu’elle n’avait que bu un verre d'eau rougie.
Or, cet enfant est le témoin qui, d’ordinaire, est regardé comme le